Nous étions maintenant en 1941 et, en prétendant avoir 19 ans et avec l’aide d’un vieux collègue de son père de chez Vickers, Bond entra dans une branche de ce qui allait devenir plus tard le ministère de la Défense. Pour servir la nature confidentielle de ses fonctions, on lui accorda le grade de lieutenant dans la Special Branch de la Royal Naval Volunteer Reserve (RNVR) ; et dans la mesure où son service a été satisfaisant pour ses supérieurs, il a atteint la fin de la guerre avec le grade de Commander (équivalent à Capitaine de frégate).
Ian Fleming – On ne vit que deux fois
Il reste peu de périodes de la vie de James Bond qui n’ont été que peu ou pas couvertes : sa mort (avec éventuellement sa retraite) et son engagement durant la Seconde Guerre mondiale. John Pearson s’était déjà attaqué en détail à ce dernier point dans son livre James Bond: The Authorised Biography, mais après la seconde série de livres sur La Jeunesse de James Bond (Young Bond) de Steve Cole, il semblait logique que les aventures de Bond pendant la Guerre allaient sortir tôt ou tard en romans. Celles-ci ne semblent (encore ?) pas prévues, mais à défaut Dynamite et Ian Fleming Publication nous livrent une nouvelle série de comics qui placera notre jeune Bond durant la guerre, de 1941 à 1945 (si les ventes sont au rendez-vous) : Origin (et qui l’on espère ne décommandera pas d’éventuels projets de romans se déroulant dans cette période).
Alors que vaut ce premier arc narratif d’Origin nommée Rocket Sea ? Comment Bond va-t-il réussir à se démarquer dans une époque qui a vu de nombreux autres héros sur les champs de bataille ? Va t-il participer à des opérations qui ont vraiment existées ? À quoi ressemblera sa guerre ? Pour ce début de série Dynamite et IFP ont décidé de confier les reines à Jeff Parker (scénario) et Bob Q (dessins et couleurs).
Origin commence durant le Blitz qui a eu lieu sur la ville écossaise de Clydebank le 13 mars 1941. Le bombardement sera l’occasion pour l’illustrateur Bob Q de montrer dès le début qu’il est capable de produire des illustrations aussi belles que terrifiantes, retransmettant ce sentiment de chaos alors que les bombes s’abattent sur la ville tandis que le jeune James et ses camarades illuminés par les flammes essayent de trouver un abri. C’est aussi l’occasion pour Jeff Parker d’introduire le Lieutenant Commander Ronald Weldon, qui se trouve également être une connaissance de la famille Bond ; étrangement ce personnage servira (un peu) de narrateur pour la première partie du comics.
Très vite un flashback nous ramène quelques jours auparavant à Fettes, l’école de Bond. Les fans qui n’auront pas lu les derniers romans Young Bond ne seront toutefois pas pénalisés : sachez qu’Origin n’y fait pas référence (mais ne les contredit pas non plus). On y découvre un James Bond qui est basiquement curieux d’en apprendre davantage sur sa défunte mère et qui plus malheureusement se retrouve impliqué dans une histoire (liée à un nouvel armement) par des espions allemands qu’il surprend dans son école… « Comme le monde est petit » ne peut-on s’empêcher de penser, il semble que ce jeune James ait le don de se retrouver toujours au bon (ou mauvais) endroit au bon moment. Sans doute aurait-il été préférable d’éviter ce genre de « hasards » qui fait too much ?
Quoi qu’il en soit il semble qu’après le Blitz de Clydebank, Bond soit désireux de s’engager. Je dis bien « semble » car malheureusement le comics nous nous montre pas le moment où James dit formellement vouloir s’engager (tout en mentant sur son âge selon Fleming). Weldon qui prend Bond sous son aile va faire en sorte que notre ami intègre un tout nouveau programme : le Secret Service. Bien qu’il soit peut être un peu décevant que Bond intègre directement le monde l’espionnage sans auparavant passer par une branche plus généraliste/militaire comme les commandos ou les Royal Marines, la seconde partie du comics consacré à sa formation est des plus agréable à lire. Bond y subit un entraînement qui mêle celui des troupes plus « classiques » sous la direction d’un officier instructeur bien gueulard à la Full Metal Jacket tout en étant formé à l’espionnage (cryptographie, langues, mise sur écoute, etc). L’entraînement est dur, mais promet aux lecteurs de passer un bon moment notamment grâce à cet instructeur que Bond considère comme « sadique ».
Les parties trois à cinq du comics sont proprement consacrées à Rocket Sea (un choix de nom qui nous reste obscure). Dans cette aventure à la U-571, nous retrouvons Bond à bord d’un sous-marin britannique (hélas sans trop savoir pourquoi il s’y trouve). L’ambiance des sous-marins, mélange de claustrophobie et de mécanique bien huilé où chaque homme à un poste à tenir, est bien rendue. Les moments d’action, mais aussi de silence (notamment lorsque l’équipage attend en écoutant les échos du sonar), marchent ensemble pour créer un sentiment de danger, le tout accentué par les illustrations qui montrent la panique et la peur sur les visages des sous-mariniers.
Toutefois on remarquera que dans cette aventure, le jeune James est effacé de l’histoire au profit d’un autre homme, le commandant du bâtiment : à savoir le capitain Wight qui tout en gardant la tête froide alors que tout s’écroule autour de lui, est diablement efficace pour ce qui est de prendre des décisions et donner des ordres aux matelots qui se trouvent à leurs postes de combat. C’est simple, une bonne moitié de l’histoire pourrait très bien s’être déroulée sans le personnage Bond, seulement avec ce jeune commandant de sous-marins.
En effet, c’est la Guerre « Mondiale », cela veut dire que beaucoup de gens sont impliqués dans celle-ci et que comparé aux missions qu’il mènera plus tard dans sa vie d’espion, James Bond n’est pas ici une sorte de one-man army, il doit se reposer sur l’aide de ses camarades pour faire des choses qu’il ne pourrait accomplir seul ou lui-même. Il est aussi intéressant de noter que le côté rude du conflit est présent, la guerre c’est surtout des morts, et celle-ci n’épargne pas certains des amis et camarades de Bond qui trouveront justement la mort à ses côtés. On pourrait toutefois regretter que les camarades de Bond n’ont pas tous vraiment de profondeur, faisant que beaucoup d’entre eux peuvent sembler interchangeables (surtout vu que tout le monde porte le même uniforme).
La seconde moitié de Rocket Sea met plus Bond en lumière en lui donnant une qualité de leader qui est aussi capable de prendre des initiatives. Sans trop spoiler la dernière partie de l’aventure amènera Bond dans les airs et, si on a un peu de mal à croire au pilotage d’un avion ennemi avec seulement des notions de pilotages qui semblent vagues, cela ajoute un sens du danger certain et c’est un passage plutôt fun et héroïque du comics. L’un des aspects intéressants est aussi que l’avion n’est pas des plus classiques, mais un Stuka, soit un bombardier en piqué (et c’est aussi cool que le comics nous fasse apprendre de petites choses sur cette guerre).
Un autre bon point du comics c’est que l’on nous montre un peu des scènes du quotidien de la guerre comme les alarmes annonçant un bombardement qui retentissent ou encore un élève qui se fait prendre en grippe par ses camarades car il est d’origine irlandaise (l’Irlande était « neutre » durant le conflit). On regrettera en revanche l’absence du passage où Bond se voit attribué le grade de lieutenant et quelques passages en allemand non « sous-titrés » (et potentiellement écrit en mauvais allemand vu que la syntaxe du court passage en français n’est pas ça qui est ça).
Coté illustration, Bob Q s’en sort admirablement bien. Les représentations fidèles des véhicules militaires et des armes de cette époque ainsi que des paysages européens nous plongent sans aucun doute dans les années quarante. On appréciera notamment que presque toutes les cases disposent d’arrières plans dessinés et très détaillés, ainsi que les ombres. Les uniformes rendent bien aussi, bien qu’il soit toujours classe de voir Bond en uniforme de la Navy, celui de Fettes (rose avec des rayures) n’est pas en reste et est particulièrement réussi. Bob Q essaye aussi de varier les dispositions des cases afin que l’on ne se retrouve pas avec des rectangles basiques et parfaitement alignés, et offre également quelques doubles pages. En parlant d’illustrations, mention spéciale aussi à certaines couvertures qui sont très jolie, notamment celles qui reprennent le style des affiches de propagandes de l’époque.
Cependant là où le bât blesse dans les dessins c’est au niveau du visage de Bond. Certes celui-ci n’est dans l’esprit pas si éloigné de celui de Kev Walker (illustrateur des Young Bond) mais il en ressort quelque chose d’un peu désagréable à cause d’une mâchoire trop triangulaire et trop allongée (et où est la cicatrice ?). Les visages en général ont quelques problèmes par moment dans la mesure où ils font parfois trop cartoons (mais on peut au moins leur reconnaître qu’ils ne sont pas sans expressions).
Dynamite Entertainment et Ian Fleming Publications ont également publié dans le magazine Playboy une mini-aventure d’Origin stand-alone de six pages : A Train To Catch. Dans celle-ci, James est déposé au large de la Belgique pour aider une cellule de la Résistance à se débarrasser d’un train d’approvisionnement important pour les nazis. L’histoire est simple (le peu d’espace oblige) mais se lit sans accros. Notons tout de même le fait que Bond soit le narrateur et la présence d’une sorte de James Bond girl (les girls étaient absente de Rocket Sea et il n’y avait d’ailleurs pas de raison d’en trouver). L’histoire semble se dérouler après le 6éme numéro. À l’origine exclusivement trouvable dans le numéro de novembre/décembre 2018 de Playboy (USA) qui fut publié le 18 octobre 2018, les fans peuvent désormais lire gratuitement ce mini-comics sur le site officiel du magazine à cette adresse. Tout ceci fait évidement référence à la longue tradition que Playboy et James Bond entretiennent, souvenez-vous : dans les années ’60 le magazine republiait certaines aventures écrites par Fleming (c’est d’ailleurs dans Playboy que la nouvelle Le Spécimen rare de Hildebrand a été publiée pour la première fois). Le magazine ferra aussi défilé de manière peu vêtue de nombreuses Bond’s girls des films et c’est dans Playboy que seront publiés pour la première fois dans les années ’90 deux nouvelles Bond écrites par Raymond Benson (dont une dans laquelle 007 mène une mission dans le manoir de Playboy et rencontre Hugh Hefner) : en savoir plus sur la relation Bond/Playboy.
Au final le début d’Origin n’est pas mauvais. Le rythme et les scènes d’actions excitantes donnent vraiment envie de tourner les pages. On apprécie l’ambiance Seconde Guerre mondiale, les illustrations, et que Dynamite semble vouloir prendre son temps au lieu d’essayer de tout couvrir en un minimum d’issues. Toutefois Rocket Sea (tout comme A Train To Catch), qui est plus une aventure militaire que d’espionnage, reste dans le fond très simpliste et basique dans son histoire ; il lui manque un petit quelque chose pour qu’elle soit exceptionnelle. La partie six (sur les 12 déjà prévues), censé être un stand-alone (mais teasé à la fin de la 5) promet déjà quelque chose de différent avec cette fois aventure d’espionnage et sur terre (et non plus sous l’eau et dans les airs).
Dates de sortie :
- Les cinq premiers volumes d’Origin sont déjà sortis en VO (publiés du 5 septembre 2018 au 16 janvier 2019) : issue 1, The Debt (issue 2), Rocket Sea (issues 3 à 5).
- La mini-aventure A Train To Catch est déjà sortis en VO dans le numéro de novembre/décembre 2018 de Playboy (USA) et est désormais disponible gratuitement sur le site officiel du magazine.
- Le 21 mai 2019 mai sortira un recueil de ce qui a été publié (son contenu exact n’est cependant pas encore clair).
- La série James Bond Origin se poursuivra au moins pendant encore 7 autres issues, jusqu’à la numéro 12, et verra un changement de dessinateur avec le retour d’Ibrahim Moustafa (Solstice).
- Aucune traduction française n’a été annoncée.
Nos précédentes critiques de comics :
- Eidolon
- Hammerhead
- Service
- Felix Leiter
- Black Box
- Moneypenny
- Solstice
- Kill Chain
- M
- Casino Royale
- The Body
Pour aller plus loin :
– Les différents comics et strips James Bond.
Comprends plus les choix éditoriaux des IFP. Ils courent à l’évidence à leurs pertes en voulant à tout prix transformer 007 en héros type club des cinq pour les pré ados.
Fleming n’a pas créé son héros pour la littérature enfantine ( pour ça il y a Chitty Chitty Bang Bang – auquel aucun éditeur de comics ne s’intéresse d’ailleurs, mais passons).