Il y a peu de temps, nous vous parlions du roman perdu de James Bond, Per Fine Ounce ; aujourd’hui il est temps de nous attaquer aux films perdus. Autant le dire de suite, c’est du lourd !
Bien qu’il y ait eu plusieurs films de James Bond n’ayant jamais été réalisé (comme le 3 ème Bond de Dalton ou encore le Casino Royale écrit par Ben Hecht, pour ne citer qu’eux), les Warhead sont souvent considérés comme LES 007 perdus. Je ne vous parle pas de films produits par EON, mais bien de James Bond concurrents avec Kevin McClory comme maître d’oeuvre, et dont le premier film n’est autre que l’ancêtre de Jamais plus jamais (en beaucoup plus extravagant). Pour bien comprendre ce qu’était Warhead il nous faut d’abord remonter très loin en arrière, aux origines du roman Opération Tonnerre. Attachez vos ceintures, la DeLorean est sur le point de démarrer pour un très long voyage !
Ces articles sont la suite spirituel du dossier « La route vers Opération Tonnerre », assurez-vous de les avoir lu avant de vous y plonger.
La route vers Opération Tonnerre :
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Kevin McClory et Opération Tonnerre
Ian Fleming avait pour ambition de faire de porter son héros de papier sur grand écran. Désespéré de voir ce moment arriver, il avait déjà vendu les droits de Casino Royale à CBS qui en avait fait un téléfilm en 1954. Quatre années plus tard, durant l’été 1958, Fleming et son ami Ivar Bryce commencent à parler d’un éventuel film de James Bond ; en automne, Bryce introduit Fleming à un jeune écrivain-réalisateur irlandais, Kevin McClory qui travaille sur un film intitulé The Boy and the Bridge (pour Xanadu Productions, une compagnie de production précédemment formée par McClory et Bryce). Les trois hommes, avec Ernest Cuneo (qui est un ami de Bryce et Fleming), réfléchissent par la suite à un projet de film James Bond pour Xanadu-Bahamas Limited. McClory écarte l’idée de filmer l’un des romans existants, préférant créer un tout nouveau scénario de James Bond pour l’occasion.
En mai 1959, Fleming, Bryce, Cuneo et McClory se réunissent d’abord à Essex, puis à Londres et esquissent le contour d’un scénario qui était basé sur un avion plein de célébrités et un personnage féminin appelé Fatima Blush. Tout comme Fleming, McClory était fasciné par le monde sous-marin et il avait l’ambition de faire un film ultime sur le sujet depuis quelque temps. Au cours des mois suivants, au fur et à mesure que le scénario change, plusieurs scénarios (certains incluant les Soviétiques comme ennemis, d’autres la Mafia sicilienne) émergent d’abord de la plume de Cuneo, puis de celle Fleming. De titres tel que James Bond, Secret Agent ou James Bond of the Secret Service sont envisagés.
En septembre 1959, Fleming commence à passer moins de temps sur le projet et McClory introduit un nouveau scénariste expérimenté au processus d’écriture : Jack Whittingham. En novembre 1959, Fleming rencontre McClory, Whittingham et Ivar Bryce à New York ; McClory lui dit que Whittingham a achevé un scénario qui était toujours (provisoirement) intitulé James Bond of the Secret Service.
De retour en Grande-Bretagne, en décembre 1959, Fleming rencontre McClory et Whittingham pour une réunion sur le scénario ; peu de temps après, McClory et Whittingham lui envoient un script, Longitude 78 West. À ce stade, la plupart des élément que l’on retrouvera dans le roman et le film Thunderball (Opération Tonnerre) se trouvent déjà dans ce script.
Finalement Fleming à court d’imagination et pensant peut-être que le projet de film de Xanadu ne se concrétiserait jamais, décide d’écrire son roman annuel qui sera nommé Opération Tonnerre, en se basant largement sur les scripts et scénarios qu’il avait lui-même écrit avec Whittingham et McClory. En décembre 1960, Bryce informe McClory que Fleming a écrit un tel roman.
En mars 1961, McClory lit en avance un exemplaire du roman de Fleming, découvre que l’intrigue est très fortement fondée sur le scénario qu’ils avaient écrit ensemble et que Fleming a eu l’audace de ne même pas mentionné son nom. Avec Jack Whittingham (lui aussi non crédité par Fleming), il demande immédiatement à la High Court de Londres une injonction pour stopper la publication du livre.
« Bryce m’avait indiqué que Fleming dans son roman allait reconnaître l’utilisation du script et de l’assistance rendu par moi-même et Whittingham et qu’il allait aussi me payer pour cela de manière approprié. J’avais compris à cette époque que seule une petite partie du script était utilisée dans son roman », a déclaré McClory. « L’intrigue et un très large nombre de détails et d’incidents sont dérivé d’un script ou d’un autre, que moi et le plaignant Whittingham revendiquons en être les auteurs. D’un coté, très peu, si ce n’est pas du tout, du roman apparaît être dérivé du script original de l’accusé Fleming ».
L’affaire se solde le 24 mars 1961 par l’autorisation de parution du roman vu qu’un nombre considérable de 32 000 exemplaires avait déjà été expédié à diverses librairies et que 2000£ avaient été dépensées en publicité. Une porte est toutefois laissée ouverte pour que McClory puisse poursuivre son action à une date ultérieure. Ce fut chose faite le 19 novembre 1963, le cas McClory contre Fleming est entendue à la Chancery Division de la High Court. L’audience s’étend sur une dizaine de jours, période durant laquelle Fleming n’est pas en bonne santé.
McClory avait embauché l’éminent avocat Peter Carter-Ruck, qui avait passé près de deux ans à préparer l’affaire (deux années pendant lesquels aucun accord à l’amiable n’a pu être trouvé entre les deux camps). La quantité de documents fournit par l’accusation était énorme, plus de 100 types de documents dont près de 1000 lettres ; de plus McClory disposait du témoignage de Jack Whittingham.
La défense avance c’est McClory qui aurait suggéré à Fleming d’écrire ce roman, comme s’il était un outil pour promouvoir le film à venir, et que l’histoire avait à l’origine été conçue par Cuneo. McClory désigne les ajouts et les modifications de Fleming tels que Shrublands ou le SPECTRE comme des « écrans de fumée » visant à créer quelques différences entre le roman et le script dans le but de masquer le fait que Fleming « piratait » son travail et celui de Whittingham (il fut apparemment démontrer que l’ont retrouvait des éléments des scripts de Whittingham sur environ 200 pages du roman). Quant à l’argument sur Cuneo, McClory déclare notamment « qu’il n’y a aucune comparaison entre les suggestions de Cuneo, qui étaient basées sur nos pensés [dont les miennes], et le roman de Fleming et le script de Whittingham ».
La défense avance également que Xanadu n’a jamais eu l’intention de faire un autre film que The Boy and the Bridge et que McClory n’a jamais été un partenaire de Bryce (et Fleming) dans le projet de film James Bond. Le fait qu’il y ait deux entités différentes avec des noms similaires n’aide pas : Xanadu Productions (le partenariat crée pour The Boy and the Bridge) et Xanadu-Bahamas Limited (le projet de créer un studio de cinéma aux Bahamas et y faire un film de Bond). En effet, par abus de langage le nom de Xanadu Productions se retrouve sur un certain nombre de documents associés au film de Bond.

Au bout de neuf jours de procès, Bryce inquiet de la santé de Fleming et pensant que l’affaire pourrait la dégrader d’avantage (de plus chaque jour de procès coûtait beaucoup d’argent et l’affaire allait de toute façon être vraisemblablement gagné par McClory), propose un règlement à l’amiable. Carter-Ruck a rapporté les conditions : McClory acquière les droits cinématographiques et TV sur Opération Tonnerre (et sur toutes les versions des scripts qui avaient été développées), ainsi qu’une grosse compensation financière. Quant à Fleming, il garde les droits littéraires sur le roman, même si ce dernier doit être désormais reconnu comme étant basé sur un script de Kevin McClory, Jack Whittingham et Fleming (dans cet ordre précis) – cette reconnaissance est encore présente dans les rééditions du roman qui sortent de nos jours.
Pour être précis, l’accord fut à un moment proposé dans les termes exacts suivant :
- L’accusé Fleming assignera au plaignant tous ses droits sur le script d’Opération Tonnerre et les droits cinématographiques du roman Opération Tonnerre.
- Le plaignant rejette tout autre quelconque droit sur le roman Opération Tonnerre.
- Le plaignant payera à l’accusé Fleming de la moitié des profits nets des producteurs jusqu’à un maximum du 50 000 $ si un film basé sur ledit script ou le roman était produit par lui et, dans l’éventualité où le plaignant vendrait les droits cinématographiques, il payera à l’accusé Fleming 50 000 $ ou la moitié de la somme obtenue […].
- L’accusé Fleming et l’accusé Jonathan Cape Limited devront procurer dans toutes les futures éditions d’Opération Tonnerre publiées par l’accusé Jonathan Cape Limited une déclaration dans les termes [suivants] : « L’histoire est basée sur un scénario de K. McClory, J. Whittingham et l’auteur ».
- L’accusé Bryce assignera au plaignant McClory tous ses droits sur le script d’Opération Tonnerre.
- L’accusé Bryce payera au plaignant la somme totale de 35 000 £ pour dommages et 17 500 £ pour les couts […] de ses réclamations envers les accusés.
- L’accusé Bryce et le plaignant McClory s’accordent pour dire que s’il existait un quelconque partenariat sur des sujets autres que le film The Boy and the Bridge, celui-ci est terminé, et qu’aucun d’aux n’a réclamation envers l’autre.
Ce règlement (ou un très similaire) fut accepté par les deux parties et ainsi McClory a acquis les droits cinématographiques et télé sur Opération Tonnerre.
Ann Fleming, la femme de Ian, n’était pas contente de ce règlement au point qu’elle écrira dans la copie de son mari de Les diamants sont éternels qui possède une dédicace à Bryce : « L’homme qui a trahit Ian dans l’affaire Opération Tonnerre ». Fleming, dépité, lancera en fin de procès : « Je pense que Bond aurait fait quelque chose pour égayer [ce procès]. Comme abattre le juge ».

Après sa victoire Kevin McClory s’adresse aux journalistes en disant que « maintenant je peux je peux regarder vers l’avant pour faire le meilleur film de James Bond qui n’a jamais été produit ». Il créer alors sa propre compagnie de production et bientôt la presse reporte les noms de Rod Taylor et Laurence Harvey pour le rôle de Bond dans le film de l’Irlandais. Début 1964, McClory annonce finalement que le rôle de Bond reviendra à Richard Burton ; il devrait jouer aux cotés de l’actrice Sylva Koscina qui interprétera Domino. Lorsque le Duc d’Édimbourg rencontre Koscina et Honor Blackman (Pussy Galore), il est un peu peu confus en demandant à Blackman quand est-ce qu’elle part pour les Bahamas ; celle-ci lui répond alors : « Non, ça c’est pour l’autre film de James Bond. Le mien est avec Connery ».
Toutefois McClory se met apparemment à penser qu’il ne peut pas rivaliser avec la série d’EON Productions, en particulier s’il n’a pas Sean Connery dans son film, et le projet est abandonné.
Le 12 août 1964, neuf mois après la fin du procès contre McClory (mais en plein procès contre Jack Whittingham qui souhaite aussi toucher une compensation), Fleming est victime d’une nouvelle attaque cardiaque qui lui sera fatale. Il décède à l’âge de 56 ans.
À l’origine, Opération Tonnerre devait être le second film de James Bond produit par EON. En effet, en 1961, Albert Broccoli, Harry Saltzman et United Artist souhaitent faire le premier film de James Bond. Ils pensent d’abord alors Opération Tonnerre, mais pour des raisons financières, ce sera finalement Dr No qui sera choisi à la place. Le 21 juillet, ils embauchent officiellement Wolf Mankowitz pour écrire le script de Dr No ; Richard Maibaum est quant à lui embauché pour écrire Opération Tonnerre (dans le but d’en faire le second film de James Bond). Les droits d’Opération Tonnerre étant débattus, et voyant que l’action en justice de Kevin McClory allait durer un certain temps, EON préfère mettre ce projet en attente et concentrer tous ses efforts sur Dr No. Mais pour la petite anecdote : le tout premier script de 007 que Sean Connery a lu fut celui d’Opération Tonnerre.
En 1964, Broccoli & Saltzman voient d’un mauvais œil le fait que Kevin McClory tente de faire son propre film de James Bond ; ils pensent que cela pourrait faire du mal à leur propre franchise. Ceci est l’une des raisons qui poussa les producteurs derrière les films de James Bond à signer un accord avec McClory qui leur permettait de filmer Opération Tonnerre en partenariat avec lui ; McClory fut alors inclus dans l’équipe de production du film. Vivant lui-même partiellement aux Bahamas, McClory s’avère être utile lors du tournage grâce à ses différents contacts.
Cependant, une fois le film sortie en 1965, Kevin McClory n’avait pas dit son dernier mot. EON pour écarter la concurrence d’un rival pendant longtemps, avait inclue dans l’une des closes de son contrat avec McClory une interdiction pour l’Irlandais de faire un film basé sur Opération Tonnerre (et les scénarios de ses prémices) pendant dix ans. Et après avoir disparu du radar du showbiz pendant ces dix années, c’est presque sans surprise que Kevin McClory annonce son retour sur la scène bondienne en 1976…

Restez connectés pour la suite de la chronique !
Épisode 2 : Le script original de Warhead
Épisode 3 : Un scénario voué à l’échec ?
Épisode 4 : Un projet qui n’en finit pas…
Sources :
The Battle for Bond de Robert Sellers / Club James Bond France / The watchers bondathon / Universal exports
Woutthielemans / Thinkmcflythink / Georgesjournal / Alternative007
Ianfleming.org / The scotsman / Google news / Gamesradar / 007travelers
Moviemuser / Cinetropolis / Wikipedia / FindLaw / Spywise
Paginas / MI6-HQ / Variety / Agent007.nu / The Spy Who Thrills Us / Wikia / Eofftv
QUE DE CHOSES EN DERAPAGE
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