Rétrospective : Roger Ebert était un critique très célèbre aux États-Unis, qui a suivi et chroniqué les films de James Bond depuis leur commencement.
Le 4 avril 2013, le critique américain Roger Ebert est mort à l’âge de 70 ans. Pour ceux qui ne seraient pas familiers avec ce rédacteur emblématique du Chicago Sun-Times depuis 1967, il convient de présenter un peu le personnage.
S’il n’est sans doute pas aussi reconnu dans le monde de la critique que certains écrivains comme Pauline Kael, Roger Ebert était sans doute le critique le plus respecté par le public. Chaque page wikipédia, pour présenter un film, intègre l’avis du critique de l’Illinois et son blog est sans doute une des pages de cinéma les plus consultées aux États-Unis. Si Roger Ebert était populaire, c’était pour la familiarité et la passion avec laquelle il partageait ses avis pour les films. Sans être populiste, il savait être exigent et décryptait dans chaque films les éléments et la construction qui faisaient que le film fonctionnait ou ne réussissait pas à convaincre. Sans être élitiste, il savait aussi adopter l’œil du spectateur lambda, et laissait dans chacune de ses critiques un espace pour expliquer si le film était ou non un bon divertissement, et s’il pouvait plaire sans pour autant révolutionner l’industrie.
Ebert n’était donc pas le grand penseur du cinéma d’aujourd’hui, mais à coup sûr un écrivain accessible (1er critique cinéma récompensé par le prix Pulitzer de la critique en 1975). Chacune de ses critiques est ancrée dans l’ère du temps et dans les habitudes et le regard des spectateurs d’aujourd’hui, et à travers ses 40 ans de carrière, on peut observer les évolutions historiques du cinéma.
C’est ce qui nous amène à James Bond. Depuis 1967, Roger Ebert suivait et chroniquait régulièrement les aventures de l’agent secret.
Fan de Connery de la première heure, Ebert n’oubliait jamais de rappeler à quel point l’acteur écossais était le meilleur, avec son ironie et ses froncements de sourcils. Tolérant lors de la période Roger Moore et Timothy Dalton, ignorant l’existence de Lazenby ou presque, peu à peu conquis par Pierce Brosnan, l’écrivain avait été complètement enthousiasmé par Daniel Craig dans Casino Royale et Skyfall qu’il voyait comme de grandes améliorations pour la franchise, tout en respectant la tradition.
Peu original ? Sans doute, puisque voir Sean Connery comme maître étalon des films de James Bond, ne pas connaître George Lazenby, se réjouir de l’aisance de Daniel Craig et du succès de Skyfall est monnaie courante, et rechercher dans chaque film le plaisir de la tradition est ce qui pousse chaque fan de James Bond à voir et revoir ses DVD.
Relire les critiques de Roger Ebert, d’année en année, c’est voir en quelque sorte l’évolution de la perception du grand public, de façon argumentée, mais sans renier le plaisir renouvelé devant chaque aventure. Chacune des chroniques d’Ebert était l’occasion de rappeler les éléments essentiels qui font le succès des James Bond: décortiquer la construction des films, apprécier les innovations et les scènes d’actions, et s’interroger sur la longévité de la saga.
En 1999, Roger Ebert se retournait vers Goldfinger, et à travers sa critique, parlait de l’endurance et du succès de la franchise en ces termes :
Si chaque adulte ne voudrait pas être James Bond, chaque enfant le souhaiterait. D’une aventure à l’autre, il sauve le monde, terrasse des méchants bizarres, a le droit de jouer avec d’enthousiasmant gadgets et de séduire ou être séduit par des femmes incroyablement sexy (ce dernier aspect étant moins répandu chez les enfants de moins de 12 ans).
Il est un héros, mais pas un héros ennuyeux. Même lorsqu’il est confronté à une mort certaine, il arrive à sourire en ayant confiance sur le fait qu’il puisse être chanceux. Il est continuellement attiré par les plaisirs de la chaire, un espion dur à contrôler pour ses supérieurs, et un agent sophistiqué capable de se parachuter en territoire ennemi tout en portant un smoking cinq minutes plus tard. Lorsqu’il s’agit des films d’espionnage, l’agent 007 est un arrêt obligatoire fournissant tout ce que l’on peut attendre en termes d’aventures.
James Bond est le héros de cinéma le plus endurant de ce siècle, et celui qui a le plus de chance de survivre pendant un bout de temps dans le prochain. Une raison de la longévité de James Bond parmi les franchise et le contrôle de la qualité : alors que presque tous les films de James Bond ont la même équipe à la production, les films présentant d’autres héros comme Tarzan sont de qualité très hétérogène. Et si Sherlock Holmes a inspiré davantage d’interprétations révisionnistes que Hamlet, James Bond continue et demeure James Bond. Il reste le même personnage reconnaissable présenté en 1962 lorsque « Dr. No » a pour la première fois amené l’espion de Ian Fleming sur le grand écran. Même les crypto-Bond comme l’étrange héro joué par David Niven dans la parodie « Casino Royale » ou les autres personnages dérivés de Bond (comme « Notre homme Flint » et Matt Helm) suivent les caractéristiques générales de la légende créée par Fleming. 007 est un archétype si convaincant que le changer serait un sacrilège.
De tous les James Bond, Goldfinger est le meilleur et peu être présenter comme un modèle à cloner pour tous les suivants. S’il ne s’agit pas d’un grand film, mais c’est un grand divertissement qui contient tous les éléments pour que la formule 007 fonctionne encore et encore. Ce film est aussi intéressant comme le lien entre les deux premiers Bond plus modestes en termes de budget, et les super-productions extravagantes qui vont suivre. Après celui-ci, les producteurs Albert « Cubby » Broccoli et Harry Saltzman pouvaient être sûr que James Bond était paré pour le long terme.
La formule établie par ce tandem Broccoli-Saltzman avait trouvé son équilibre dans la réalisation de ce film. La structure des James Bond émergeait lors des deux films précédents, mais elle arrive à pleine maturité dans ce troisième opus. Tout d’abord, la séquence du générique le présentant comme une figure sexuelle emblématique liée aux scènes d’actions, aux cascades et aux morts spectaculaires. Puis la convocation par M, chef des services secrets, et le briefing sur le méchant assoiffé par la domination mondiale, le flirt avec Moneypenny, la démonstration par Q de ses derniers gadgets créés spécialement pour sa nouvelle mission. Puis viennent la présentation du méchant, de son homme de main bizarre et mortel et de son assistante / maîtresse / complice féminine. S’ensuivent la découverte par Bond du plan du méchant, sa capture et sa mort certaine, la séduction par Bond de la James Bond girl ennemie, etc. Tout ces éléments menant toujours à la scène finale dans laquelle Bond est sur le point de savourer le prix de sa victoire : les fruits sensuels de sa dernière conquête.
Le déroulement du film est basé sur des absurdités fondamentales (comme cette scène où Goldfinger rassemble les chefs des mafias américaines pour les associer au secret de son plan juste avant de les exterminer. À l’époque où les « Swinging London » prenaient le pas sur la pop culture, la franchise des Bond avec son humour et son univers attrayant était parfaitement placée (mis à part lorsque Bond recommande d’écouter les Beatles avec des boules quies). Mais le Swinging London a swingué et Bond est toujours là. Il a su se réinventer pendant 37 années, à travers tous les changements de mode et de géopolitique les plus divers.
Trois ans plus tard, après la sortie du 20e film d’EON production, Ebert écrivait :
« Et ainsi de suite, un Bond après l’autre, la franchise la plus durable de l’histoire du cinéma s’achemine vers son cinquantenaire. Il n’y a pas de raison de croire qu’ele mourra à un moment. Je suppose que c’est une bénédiction.
Vous pouvez retrouver les autres critiques de Roger Ebert à propos de James Bond sur cette page. Nous vous proposerons très prochainement une sélection d’extraits de ses critiques pour voir l’évolution de la saga à travers ses différentes réceptions.
article écrit conjointement pour Des Jamesbonderies… entre autres et Commander James Bond.netne.
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