Nos confrères d’MI6-HQ y étaient. Lorsque William Boyd a réalisé un entretien public à la foire du livre de Londres, interviewé par Erica Wagner, responsable de l’éditorial littéraire de The Times, pas une miette de la conversation n’a été perdue, et nous vous la présentons aujourd’hui en français. William Boyd, l’auteur en charge d’écrire la nouvelle aventure de James Bond qui s’appellera Solo revient notamment sur toute sa démarche consistant à continuer à écrire dans les traces de Ian Fleming.
Erica Wagner : rentrons tout de suite dans le vif du sujet : que pouvez vous nous dire sur la genèse du projet ?
William Boyd : Et bien ce n’est pas quelque chose pour lequel on peu se présenter comme à une audition, et dire « j’ai envie d’écrire un roman de James Bond ». Il faut qu’on vous le propose, et c’est ce qui est arrivé à la fin de 2011. J’ai été approché par les ayant-droits de Fleming et ils m’ont demandé si je serais intéressé pour écrire un nouveau roman dans la suite de ce qui a été fait. J’ai répondu immédiatement « Oui ! Qu’elle faveur ! ». J’ai aussi répondu « oui » pour d’autres raisons, notamment le fait que j’avais déjà écrit deux romans d’espionnage (ou plutôt dans la veine des romans d’espionnages) et je suis donc un familier du genre. Je connaissais également beaucoup de chose à propos de Ian Fleming, qui est une auteur qui m’a longtemps fasciné. J’avais écris sur Fleming et sa carrière journalistique. Je crois même que j’ai écris un texte pour vous Erica, à propos de Fleming, et j’ai mis en scène l’auteur dans un de mes romans. Il s’agissait de mon livre « Any Human Heart » où Ian Fleming, lors de la seconde guerre mondiale recrute le héros Logan Mountstuart dans la division de l’intelligence navale où Fleming travaillait. Quand « Any Human Heart » a été transformé en série pour Channel 4, l’acteur Tobias Menzies (qui joue Villier dans Casino Royale) incarne Fleming. Par pure coincidence, trois des acteurs qui ont été James Bond au cinéma ont d’ailleurs tourné dans des films que j’avais écris. J’ai même dirigé Daniel Craig dans un film dont j’ai écris le scénario. Cette relation Bond/Fleming est donc curieusement présente dans ma vie, et cette invitation à écrire un roman sur James Bond en semble la parfaite conséquence (à moins que quelqu’un La Haut sache quelque chose que j’ignore). Alors j’ai répondu « oui », et tout le processus a démarré.
EW : Vous en avez déjà un peu parlé, mais pourriez vous rentrer dans les détails sur la façon dont vous comptez conserver une claire séparation entre le Bond des livres et le Bond des films ?
WB : Ce qui m’est apparu évident dès le début, quand j’ai commencé à réfléchir au livre, c’est que tout le monde pense à Bond en termes de films. C’est inévitable étant donné leur succès. Fleming est mort en 1964, mais le dernier film de James Bond en date est sorti juste l’année dernière. Le James Bond dans l’imaginaire commun et le James Bond cinématographique. À cause de la nature de ce médium et de la franchise, la différence entre le Bond du cinéma et celui des livres est très marquée. J’ai relu tous les romans de Bond et les nouvelles dans l’ordre chronologique avant de commencer à écrire ma propre aventure, et Fleming nous donne une tonne d’information à propos de Bond : sa vie intérieure, son histoire, son éducation, ce qu’il aime et déteste, ses phobies et ses passions. En tant que personnage de roman, on se rend donc compte qu’il y a cette incroyable richesse dont il est difficile de rendre compte dans un film : les films sont des visuels où il est dur d’être subjectif. Alors on aperçoit ce que Bond fait, mais je n’ai pas l’impression qu’on le connaisse du tout. Le Bond littéraire est de loin une créature plus complexe et nuancée que même un acteur génial comme Daniel Craig ne peut interpréter.
EW : Quel effet cela fait-il de lire tous ces livres avec cette approche orientée ? Quel impression de Bond en avez vous retiré ? Est-il vraiment extraordinaire pour un personnage de conserver cette attrait d’année en année en dehors de ses aventures en tant que telles ?
WB : C’est vraiment fascinant. Il faut se prêter à un exercice intellectuel particulier puisque le premier roman a été publié en 1953, et le dernier de façon posthume en 1964, ce qui représente 12 roman en une décennie. C’est déjà un accomplissement en soi. Il faut également essayer d’imaginer la Grande Bretagne et le monde de 1953. Il s’agit du monde de l’après-guerre. Et tout d’un coup arrive sur le devant de la scène cet homme, cet espion, sans que ce soit vraiment, selon moi, des aventures d’espionnages qui fassent vivre Bond. L’attrait qu’il dégage est tout ce qu’il représente, ce qu’il fait, ce qu’il aime et déteste. Dans les années 1950, cela a du sembler la découverte la plus exotique, glamour et excitante qu’il soit pour l’époque.
Cela est lié a la vie de Fleming qui était un playboy aisé de la classe supérieur et la vie qu’il menait dans les années 1930 et 1940 était celle de cette population arrivée dans cette classe supérieure par l’argent. Ce sont les petits privilèges de cette élite que les gens ignoraient, sans savoir comment ça se passait la-haut. Je pense que ce qu’a fait Fleming avec Bond a été de soulever le voile de ce monde où les gens parient d’immenses sommes d’argent, où l’on pouvait commander une carafe de vodka glacée avec votre caviar. C’était un monde où vous faisiez attention aux vêtements que vous portiez, à ce que vous preniez au petit déjeuner, à la façon dont vous faisiez faire vos cigarettes, et celle dont les grains de cafés étaient préparés.
Soudainement, ce genre de détails (qui nous semblent aujourd’hui naturels) étaient révélés aux lecteurs des années 1950 et 1960 et je pense que ça a du être une découverte pour beaucoup. De plus, James Bond n’est pas juste un super-héros. Il a ses faiblesses, ses défauts, il fait des erreurs, et pourtant, il reste très résistant à ce qu’il subit. Il y a quelque chose de très bien agencé à propos de lui, et je pense qu’il s’agit en quelque sorte du génie de Fleming. Ce n’est pas le fait qu’il ait réussit à penser à une douzaine d’histoires fascinantes, c’est le fait qu’il ait créé un personnage, comme Sherlock Holmes ou Alice au pays des Merveilles qui survit et plait à tout le monde. C’est une manière de se rendre compte de cet accomplissement, et c’est ce qui m’a attiré : reprenons le personnage, envoyons le quelque part et voyons comment il réagit en tant qu’être humain.
Je me souviens d’avoir dit lors de l’entretien avec Ian Fleming Publications : « Je suis intéressé par l’homme, l’être humain ». C’est ce que j’ai essayé de faire en écrivant ce livre et la raison pour laquelle je suis revenu à lire tous les romans. Je les avais lu adolescent, mais les relire maintenant, en anticipant ce qui arrive, le crayon à la main et en rajoutant des notes dans les marges, voila qui a été une expérience fascinante. J’ai énormément appris. J’ai accumulé cette somme d’information incroyable à propos de Bond et de sa vie, qui étaient ses parents, où il a été envoyé a l’école, son expérience comme capitaine d’une équipe de judo, etc, etc. J’avais toutes ces ressources que je pouvais utiliser pour le personnage avec lequel je joue.
EW : L’un des aspects sérieux de cette activité doit être l’implication dans les recherches. Quelles recherches avez vous effectué pour ce livre ?
WB : Une somme considérable. Une fois que vous avez inventé votre histoire et les destinations où vous allez amener Bond, vous devez de toute évidence approfondir ces lieux. J’ai décidé relativement tôt que mon histoire allait se dérouler en 1969. Fleming écrit la nécrologie de Bond dans « On ne vit que deux fois », et nous savons donc que Bond, selon lui, est né en 1924. Donc en 1969, il aurait alors 45 ans, un âge où l’on ne court plus aussi rapidement qu’a 30 ans. J’ai donc du réaliser de nombreuses recherches sur l’époque, l’état des affaires internationales et la géopolitique du monde à ce moment, et ainsi de suite. Après, puisqu’il s’agit d’un James Bond, il y a une certaine dose d’armes avec lesquelles il faut se familiariser, des véhicules, etc, etc. Je suis donc devenu un expert en armes de poing et en voitures. Les voitures sont très importantes pour Bond, et bien que je ne sois pas un conducteur passionné, vous ne pouvez pas imaginer tout ce que j’ai lu à ce sujet. J’ai donc fait beaucoup de recherches sur les voitures et transports de l’époque.
Ayant dit que j’étais intéressé par le personnage, j’ai voulu rendre mon roman très réel. Je suis un écrivain réaliste. Je ne fais pas dans la fantaisie ou la magie. Je tiens à ce que ma fiction soit absolument ancrée dans le temps et dans l’espace. Qu’il s’agisse de Vienne en 1914, de Londres aujourd’hui ou des Philippines en 1920, le contexte de mes romans est scrupuleusement recherché, et je l’espère, absolument authentique, en donnant ainsi une forme de gout et de richesse dans le décors. Je m’y suis donc forcé également pour Bond. Il part alors pour une mission réelle, dans de véritables pays et le monde dans lequel il évolue est absolument celui de 1969. Je ne pense pas trop en dire si je révèle qu’il n’y a pas de gimmicks. C’est une vraie histoire d’espionnage et c’est de toute façon ma manière d’écrire. Je ne pouvais pas écrire ça de façon fantastique, ou légère ou rajouter tous les gags et gadgets habituellement associés a Bond. Il fallait que ce soit brutal, terre-a-terre et réaliste
Source et remerciements : MI6-HQ
Retrouvez plus d’informations sur la façon d’écrire de Ian Fleming dans la chronique de Jacques Layani publiée sur le site.
Bon, eh bien, il semblerait que Boyd ait bien su lire Fleming et qu’il ait pris beaucoup de précautions pour créer le contexte de son livre. C’est prometteur, nous verrons. Une traduction française est-elle annoncée ?
[…] L’interview de William Boyd au sujet de son travail sur James Bond. […]
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