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Casino Royale : la critique du comics (2018)

On l’aura attendu longtemps, mais après plusieurs reports, un changement de dessinateur, davantage et davantage de délais, le comics Casino Royale de Dynamite est ENFIN là !

Ce n’est pas la première fois que Casino Royale rencontre le support de la bande dessinée puisque le roman fut notamment adapté dés 1958 en comics-strip (bandes dessinées diffusées quotidiennement dans les journaux au rythme de 3 ou 4 images par jour). Cette adaptation du journal Daily Express était vraiment très réussie : fidèle au roman et les dessins étaient la « Rolls Royce » de ce qui pouvait se faire, même si l’ont pourrait toutefois blâmer quelques problèmes de censure (sexe, torture) et certaines redites à cause du format épisodique.

Quelque pages du comics-strip de 1958 que tout fan de Bond qui se respecte devrait posséder dans sa bibliothèque.

La question que l’on pourrait se poser est : cette nouvelle version 2018 va-t-elle souffrir en comparaison de l’adaptation de 1958 qui avait déjà mis la barre très haute ? Pour ce nouveau comics de Dynamite, Van Jensen (script) et Dennis Calero (dessins) signent ici leur premier Bond, Chris O’Halloran (couleurs) signe quand à lui son troisième (après Black Box et The Body 3).

Un scénario qui nous ramène en arrière

Depuis 2015 Dynamite propose des aventures de l’agent 007 qui se déroulent exclusivement dans un univers contemporain au notre ; alors pour Casino Royale, qu’allait-ils faire ? Adapter l’intrigue du roman à notre époque comme l’a fait avec brio le film de 2006, ou plutôt situer l’intrigue à l’époque initiale du roman ? Va pour la seconde solution. En effet, non seulement Dynamite a pour volonté faire un comics situé au passé avec Casino Royale, mais aussi de faire en sorte que celui-ci soit le plus fidèle possible à l’œuvre originale de Ian Fleming.

Pour ceux qui n’auraient pas lu (ou oublié) le roman de 1953, un synopsis s’impose donc : Le Chiffre, un agent soviétique, investit en douce l’argent que ses employeurs lui ont confié dans une chaîne de bordels français. Il espère ainsi faire fructifier les fonds, mais manque de chance pour lui, la loi Marthe Richard est votée environ trois mois plus tard. Celle-ci a pour but de faire fermer les maisons closes et de renforcer la lutte contre le proxénétisme, ce qui réduit à néant la valeur des investissements du Chiffre. Potentiellement de peur que le SMERSH (organisation soviétique chargée d’éliminer les traîtres et les espions) lui règle son compte, Le Chiffre se rend au casino de Royale-les-Eaux en France pour essayer de récupérer de l’argent lors d’une grosse partie de baccara. James Bond a pour mission de le battre à la table de jeu.

Adapter un roman ou un film en BD n’est jamais facile, notamment pour cause d’espace, et avec Casino Royale on se retrouve avec un comics qui a tout de même un peu plus de 150 pages à son arc ! Ce qu’il y a de bien avec celui-ci, c’est que contrairement aux comics 007 adaptés des films des années 80, on n’a jamais l’impression qu’il manque des passages ou dialogues du roman, qu’ils soient importants ou moins importants. On ne ressent pas qu’il ait des passages qui aient été bâclés pour gagner de l’espace, mieux encore on constate que certaines scènes dont aurait pourtant pu aisément se passer sont présentes (exemple : Bond s’imagine ce qu’il faudrait pour braquer la caisse du casino). C’est simple : de tout le comics la seule absence qui m’ait réellement gênée est la scène où Bond commande à manger pour lui et Vesper auprès d’un serveur (alors que pourtant le « rationnement » de l’Angleterre est mentionné dans l’intro du comics). Mais comme dirait Bond (en français dans le roman) : n’enculons pas les mouches, on ne peut que se féliciter que Dynamite ne se soit pas contenter du minimum syndical.

Have no fear, Bond is here !

Autre chose sur laquelle Van Jensen n’a pas été radin : du texte ! Nous sommes bien dans un comics tiré d’un roman, beaucoup de choses sont ici expliquées dans les descriptions plutôt que dans de pures illustrations. Il vaut donc mieux aimer lire un minimum pour ce comics, il ne se finit pas en cinq minutes, Van Jensen a opté pour la plus grande (et la meilleure) quantité de texte. En fait ce sont ces nombreuses bulles de descriptions/narration qui donnent au comics son rythme (qui est maîtrisé), comme la traditionnelle « l’odeur d’un casino, mélange de fumée et de sueur, devient nauséabonde à trois heures du matin ». Et oui en effet, le comics paraphrase le roman : absolument tous les textes (ou du moins 99 %) sont tirés de l’œuvre originale ; tout ce qu’on peut lire dans le comics a été écrit par Fleming lui-même et non inventé par Van Jensen ! Cerise sur le gâteau, la BD est même divisée en chapitres (qui sont évidemment les mêmes que ceux du roman).

Vous l’aurez compris, la fidélité du comics par rapport au roman est extrême (donc autant dire que l’intrigue du comics est de haute qualité). Il est d’ailleurs agréable de constater que le « politiquement correct » ne s’est pas immiscé dans cette adaptation puisque le sexisme certain de Bond envers Vesper n’est pas passé sous silence comme l’explique Van Jensen en interview : « le livre est un document de son temps, pour le meilleur et pour le pire. Je ne veux pas prétendre que les choses terribles que l’on trouve à l’intérieur n’existent pas, même si je ne les approuve pas personnellement ».

Il fait plaisir de voir qu’avec les récents mouvements #MeeToo qui ont critiqués les manières de Bond envers les femmes, le comics ne nous montre pas un Bond censuré. Le sexisme fait partie du personnage et de l’époque durant laquelle se déroule l’intrigue.

De même M et Moneypenny, qui avaient la peau noire dans les précédents comics de Dynamite, sont de nouveau blancs dans Casino Royale en accord avec le roman. En revanche, on pourrait un peu pester sur les illustrations de la scène de torture, qui à mon goût n’est pas assez graphique, on aurait aimé des plans larges qui montrent plus clairement Le Chiffre administrer sa violence sur Bond.

Dessins et couleurs

D’un point de vue dessins, Casino Royale s’en tire plutôt bien, mais tout n’est pas parfait (cadres accrochés aux murs qui ne sont que des monochromes blancs, beaucoup trop de cases sans arrière-plans dessinés). La dispositions des cases reste classique (il n’y a pas vraiment de volonté de destructuration) et le comics nous présente un Bond qui a un look proche de Michael Fassbender, et je dirais même plus, qui a le physique que Ian Fleming avait lui-même imaginé lorsqu’il avait demandé à un artiste d’esquisser sa vision du personnage pour l’adaptation du Daily Express. (Pour l’anecdote sa vision du personnage fut rejetée par l’illustrateur du journal, John McLusky, qui le trouvait trop « avant-guerre » ; et c’est exactement l’impression que j’ai eue dans cette adaptation de 2018 : me retrouver face un Bond qui a un physique d’époque, d’avant-guerre). Si cela est plutôt bienvenu, on regrettera en revanche que la cicatrice sur la joue droite de 007 ne soit pas assez accentuée, voire carrément absente, et que celle sur sa main ne soit visible que sur une seule case.

Les visages de Mathis, Vesper (qui ressemble à Ann Fleming), Felix, Le Chiffre sont agréables, même si parfois on à l’impression, tout comme pour Bond, qu’ils ont la fâcheuse tendance à changer selon les cases (exemple : Leiter qui ressemble à Jack Lord sur une case, puis à Roger Moore sur celle juste en dessous). Peut-être est-ce dû au fait que l’ont retrouve des visages qui semblent étrangement familiers comme ceux de Topol ou de Julian Glover pour les adversaires au casino, ou encore celui de David Niven sur les plans éloignés de M (et de Bernard Lee pour ses plans rapprochés) ? Était-ce volontaire ? En tout cas cela distrait le lecteur de l’intrigue, ce qui n’est pas forcement une bonne chose…

Coté couleurs, le comics divisera. La palette de couleurs de Casino Royale est principalement composée de deux éléments seulement : du bleu/violet souvent contrasté avec un arrière-plan jaune. Certains adoreront ce choix de couleurs aux tons assez froids car il donne un côté assez vieillot aux illustrations, accentuant l’impression que ces événements se sont déroulés il y a longtemps, en ou vers 1952. D’autres (comme l’auteur de cette critique) « détesteront » et reprocheront aux couleurs un manque de réalisme/naturel mais aussi un manque de vie ; heureusement après la scène de la torture les couleurs deviennent plus vives et plus réalistes. C’est dans le fond assez dommage puisque les couleurs étaient un points important à ne pas rater puisque la version de 1958, illustrée en noir & blanc seulement, n’en possédait pas. Autre ombre au tableau (attention calembour !) : les ombres. De qualités inégales, elles peuvent parfois donner un côté génial/classe à l’ensemble, ou parfois donner l’effet inverse avec leur coté noir 100% opaque.

L’une des Bond trouvaille visuelle de ce comics est l’introduction de la « Bond vision » : il s’agit d’un petit texte sur l’image qui nous montre les pensées de 007 quand il analyse des choses ou des personnages, les jugeant, évaluant la menace. C’est assez difficile à expliquer, mais puisqu’une illustration vaut parfois mille mots, un exemple est présent en bas de l’article. Autre bonne idée, lorsque Bond explique les règles du baccara à Vesper (et aux lecteurs par la même occasion), des cartes « fantômes » apparaissent dans les mains de Bond pour aider à comprendre ses propos.

Casino Royale comics (9)

En revanche, arrivé à la séquence « d’action » majeure du comics, la partie de cartes entre Bond et Le Chiffre, celle-ci devient hélas assez dure à suivre car il n’est pas si facile de déterminer à qui sont les cartes montrées sur les illustrations (celles de Bond ou de Le Chiffre ?). À plusieurs reprise il m’a fallut réouvrir mon roman pour le déterminer. De même, la scène de l’explosion m’aura un peu déçu visuellement, peut-être en attendais-je plus de détails et de sang ?

Enfin coté illustration, mention spéciale à la couverture du livre réalisée par Fay Dalton, qui produit également les illustrations des rééditions de Folio Society !

En conclusion, je dois bien avouer avoir pris énormément de plaisir à redécouvrir le roman (bien que je l’avais relu il n’y a pas si longtemps) sous la forme du comics de Dynamite ! Cela n’a rien avoir avec les comics de l’éditeur sortis jusque à présent. De par sa fidélité à l’œuvre originale il s’agit d’un bon moyen pour les personnes qui voudraient découvrir le Bond littéraire de Fleming mais qui sont rebutées par la longueur des romans. (Sachez d’ailleurs que l’anglais est ici étrangement facile à comprendre comparé au roman, bien qu’il s’agisse exactement des mêmes phrases). Les illustrations et plus particulièrement leurs couleurs iront, selon vos goûts, embellir ou gâcher l’ensemble. Alors la longue et irritante attente valait-elle le coup ? Totalement. Y a t-il à rougir du comics du Daily Express de 1958 ? Non. En bref vous n’avez donc aucune excuse pour ne pas vous le procurer, à part peut-être le prix (environ 20€ tout de même) ? De notre côté on espère fortement une suite avec Vivre et laisser mourir !

Date de sortie :

  • Casino Royale est déjà sortie en VO depuis le 11 avril 2018 sous la forme d’un seul volume de 171 pages.
  • La traduction française est sortie le 4 novembre 2020.

Casino Royale comics (1)
Casino Royale comics (2)
Casino Royale comics (3)
Casino Royale comics (4)
Casino Royale comics (5)

Nos précédentes critiques de comics :

Pour aller plus loin :
Les différents comics et strips James Bond.

Clement Feutry

Fan passionné de l'univers littéraire, cinématographique et vidéoludique de notre agent secret préféré, Clément a traduit intégralement en français le roman The Killing Zone et vous amène vers d'autres aventures méconnues de James Bond...

1 commentaire

  • Le problème principal avec les adaptations de Dynamite, c’est qu’ apparemment ils n’ont aucune ligne directrice. Les auteurs sont interchangeables, et leurs visions de l’univers de 007 aussi. Alors bon, produire un rétro Bond avec Casino Royale, pourquoi pas… Tout en sachant que la prochaine aventure fera fi de tout ce travail pour proposer encore une autre vision…
    ( Pour mémoire rappelons enfin que Raymond Benson proposa sa version théâtrale de Casino Royale – située elle aussi en 53.)

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