[notification type= »notification_info »]Spoilers réduits au minimum.[/notification]
En octobre dernier, VARGR, la première bande dessinée bondienne de Dynamite Entertainment, débarquait en France. La seconde aventure de l’agent 007 par Dynamite, Eidolon, marque l’arrivée du SPECTRE dans l’univers des comics. Avant que sa traduction française prévue pour avril 2017 n’arrive sur les rayons des librairies, Commander James Bond France vous propose une critique de la version originale américano-anglaise. Alors que vaut ce nouveau comics ? Est-il mieux que VARGR ? Comment ont-ils réintroduit le SPECTRE comparé à Bond 24 (Spectre) ? Tant de questions auxquelles nous allons essayer d’apporter une réponse !
En dehors des comic strips (des mini-BD qui sont le plus souvent diffusées quotidiennement dans les journaux), James Bond a vraiment connu son essor en bandes dessinées (comics) dans les années 1990. Sauf que depuis 1995 – exception faite de SilverFin – l’agent 007 a totalement déserté ce support jusqu’à ce que l’éditeur Dynamite acquière les droits vers 2014 et publie VARGR entre 2015 et 2016. Soyons franc, bien que nous n’en ayons pas écrit de critique, cette première aventure n’avait pas réussi à impressionner la rédaction du blog… C’est donc avec une petite appréhension que je me suis lancé dans Eidolon une fois la sixième et dernière partie publiée (parce qu’attendre un mois entre chaque chapitre, n’apporte rien au lecteur si ce n’est de la frustration).
De beaux dessins… mais imparfaits
Les lecteurs de VARGR ne seront point dépaysés visuellement par cette nouvelle aventure puisque l’on retrouve le même trio derrière Eidolon, à savoir : Warren Ellis à l’écriture, Jason Masters aux dessins et Guy Major aux couleurs. Cela signifie que les illustrations du comics partagent les mêmes qualités et les mêmes défauts que celles de VARGR.
Eidolon n’est pas moche, très loin de là, mais n’est pas bluffant non plus. Plusieurs défauts viennent effectivement gâcher le tableau. Là où Mike Grell (Permission to Die) et Christophe Alliel (Spynest) avaient plus impressionner par leurs sens du détail, Jason Masters et Guy Major ont malheureusement tendance à parfois passer outre les petits détails : aucun paysage visible à travers les fenêtres (qui au lieu d’être transparentes semblent opaques), écrans d’ordinateurs sans rien dessus malgré le fait qu’ils soient utilisés par quelqu’un, tableaux accrochés aux murs qui sont de simples monochrome, etc… C’est dommage car le duo est souvent capable de fournir plein d’éléments sur leurs illustrations, mais il ne le fait pas tout le temps.
Pire encore, le comics possède pas mal de cases (et même sans doute trop) dans lesquelles il n’y a pas d’arrière-plans dessinés, juste de simples dégradés ! Voici un exemple :
Autre chose qui dérange : des détails qui disparaissent selon les plans. Exemples : les yeux de la Bond Girl sont visibles à travers ses lunettes sur une case mais pas sur la suivante, un globe terrestre sur lequel on peut voir des continents mais qui devient tout bleu (sans continents) plus tard… Dernier point, on a parfois la désagréable impression qu’il manque un bout de la case : en effet, pourquoi dans certains cas la bordure noire n’encadre pas complètement la case mais juste le dessus et le dessous (laissant les cotés sans bord) ?
Au-delà de ces défauts qui font tâches, les illustrations sont très globalement réussie, le style graphique de Masters/Major est bien (surtout lorsque l’on compare avec ce que l’on a parfois pu voir avec la licence James Bond dans le passé). L’ordre de lecture des bulles et des cases est intuitif et classique, notamment pas parce qu’il n’y a pas de tentative de déstructuration à la Mike Grell (ce qui n’est pas plus mal) et la police d’écriture est bonne.
On appréciera aussi les effets d’explosions et de flammes (sauf celles sortent des armes à feu) qui sont réussis, tout comme les impressions de mouvement. En revanche la qualité des ombres est plutôt variable, parfois c’est bien, parfois il y a trop peu ou pas d’ombres, et celles-ci sont quelquefois constituées de nuées de petits points noirs (ce qui donne un résultat pas toujours très propre).
Enfin, on peut citer le fait qu’il n’y ait presque pas deux dessins identiques, ce qui est une bonne chose. Je dis cependant « presque » puisqu’il y a un endroit avec un flashback dans lequel on retrouve exactement les mêmes dessins qu’auparavant (justes modifiés avec un petit filtre couleur) et ça, pour le coup, c’est fâcheux et ça fait feignasse (au lieu de proposer exactement les mêmes dessins il aurait été plus intéressant de présenter la même scène avec, disons, des « angles de caméra » différents).
Histoire
Eidolon est un mot d’origine grecque qui signifie : « fantôme », « apparition » ou encore « spectre ». En 1993, l’écrivain du comics A Silent Armageddon (Simon Jowett) avait voulu faire figurer le SPECTRE dans sa bande dessinée mais Glidrose (a.k.a. Ian Fleming Publication) avait refusé (Jowett a alors créé sa propre organisation : Cerberus). Ainsi le SPECTRE n’est jamais apparu dans l’univers des bandes dessinées bondienne (hors comics strip et comics en langues non anglaise). Comment les créateurs de Eidlolon ont-ils alors décidé d’introduire l’emblématique organisation à cet univers ?
Eh bien, ils ont choisi une manière assez spéciale en ne faisant figurer que le spectre du SPECTRE… Ce qui suit dans le paragraphe suivant pourrait être considéré comme un spoiler pour certains, mais c’est en réalité ce que l’on trouve sur le texte situé au dos de la couverture du premier numéro d’Eidlolon.
C’est (malheureusement) mal expliqué dans le comics en lui-même, mais l’histoire de Eidolon (et de VARGR) se déroule en réalité après les romans de Ian Fleming (il faut toutefois imaginer que les livres ont été actualisés à notre époque). Du coup le SPECTRE et Blofeld n’existent plus, 007 les ayant déjà battu dans le roman On ne vit que deux fois ; n’espérez donc pas voir de Blofeld ou de meeting entre les membres de l’organisation dans Eidolon ! Dans le comics, Bond affronte en fait les restes de SPECTRE : une (petite) cellule stay-behind (sorte de cellule dormante) visant à faire renaître l’organisation si celle-ci venait à disparaître. Et celle cellule semble s’être réveillée… Comme l’explique Warren Ellis dans une interview : « J’ai eu cette idée alors que je lisais le dernier livre d’Umberto Eco, Numéro zéro, qui me rappelait le réseau Gladio et les forces stay-behind en Italie après la Seconde Guerre mondiale ». J’apprécie quand les livres s’inspirent de la réalité et j’ai trouvé aussi que c’était bien joué d’inclure à un moment le mythe de la Strategic steam reserve britannique à l’histoire du comics.
C’est donc une mise en bouche sur le SPECTRE que propose Eidolon (rappelons que Dynamite compte aussi adapter des romans de Fleming). Ce SPECTRE tel qu’il est présenté n’est pas forcement très intéressant, d’ailleurs il n’est à aucun moment précisé que SPECTRE signifie SPecial Executive […] Extortion et le méchant principal de cette aventure n’est pas forcement très développé non plus. Pourtant le comics commence bien et, à la fin de chacune des six parties, on se surprend à vouloir se replonger directement dedans pour connaître la suite. Ellis a réussi à développer assez d’histoire pour nous aspirer dedans sur le peu d’espace que le support bande dessinée peut proposer.
Étrangement, tout comme pour Bond 24, Eidolon a aussi pour thème principal les rivalités entre le MI6 et le MI5 ; notamment sur un interdit pour les agents du MI6 de porter des armes feux sur le territoire britannique (ce qui me rappelle peut-être un ou plusieurs roman(s) de continuation dont j’ai oublié le(s) nom(s)). Si Eidolon peine à vraiment créer la surprise de ce côté de l’intrigue (comme pour Bond 24), les querelles entre les deux agences de renseignement apportent un plus qui n’est pas déplaisant, et même plutôt intéressant.
Personnages revisités et politiquement (in)corrects
Parlons un peu des personnages de ce Eidolon et commençons par les récurrents qui sont déjà apparus dans VARGR. Les comics de Dynamite ayant pour vocation de s’inspirer des livres de Ian Fleming et non des films (bien que quelques clins d’œil à ces derniers soient présents), il est plutôt étonnant de retrouver une Miss Moneypenny à la couleur de peau noire… Si cela ne choque pas de trop vis-à-vis du fait que l’on est habitué à Naomie Harris depuis Skyfall, un problème se pose toutefois lorsque l’on constate que M aussi à la peau noire ! Était-ce vraiment nécessaire ? Pourquoi changer la couleur de ce personnage traditionnellement blanc (et même un poil raciste si mes souvenirs des romans de Fleming sont bons) ? Cela n’apporte strictement rien à l’histoire. Si les créateurs jugeaient qu’il n’y avait pas assez de personnages de couleur, la bonne solution n’aurait-il pas été de plutôt créer un nouveau personnage que de changer un personnage déjà existant ? À part un (faux) politiquement correct et faire parler, difficile de voir ce qui justifie cette décision pourtant approuvée par IFP (chaque scénario et chaque dessin étant validés par la Fleming Estate) ; et même dans ce cas pourquoi ne pas avoir été jusqu’au bout en proposant un M asiatique au lieu de faire redondance cette Moneypenny noire ? Intitule de préciser que 007 ne tient aucun propos raciste ou homophobe dans ce comics, mais comme nous le verrons plus tard, le personnage Bond est toutefois loin d’être politiquement correct dans Eidolon…
Autre problème qui se pose avec M, ce sont les dessins dans son bureau. Il s’agit d’un des sérieux points noirs de VARGR et d’Eidolon : cette pièce ressemble plus au bureau d’un fonctionnaire de la CAF qu’aux bureaux luxueux de M que l’on aperçoit dans les films et les anciens comics ! Cela manque de détails, les murs verts et le plancher violet défient le bon goût alors qu’une bonne partie d’Eidolon se déroule pourtant dans cette pièce.
Si M s’éloigne physiquement du personnage imaginé par Ian Fleming, le Major Boothroyd (Q) n’a probablement jamais été aussi proche puisque le physique du personnage est directement (et fortement) inspiré du vrai Geoffrey Boothroyd (le fan qui a persuadé Fleming d’utilisé une autre arme que le Beretta .25 pour Bond, voir ici) ! À noter que Boothroyd a vraiment le rôle d’armurier dans les comics de Dynamite et non celui de « Monsieur Gadget » des films, donc ne vous attendez à voir des montagnes de gadgets exotiques dans Eidolon (comme pour les romans). Profitons-en pour saluer le fait que ce comics n’inclut aucune technologie ou modification du corps humain trop futuriste ou trop irréaliste (ces vilaines choses que l’on retrouve malheureusement dans beaucoup trop de comics James Bond).
À cette partie de la team MI6 s’ajoute des personnages originaux, comme la Bond Girl principale que Warren Ellis a décidé de nommer Cadence Birdwhistle… Au bout d’un moment il faudrait arrêter de donner des noms à la con (littéralement : Rythme de sifflement d’oiseaux) aux Bond Girls. Ellis le reconnaît lui-même dans une interview : « aussi ridicule que ceux que Fleming s’amusait à imaginer. Si absurde qu’en fait, je ne pense pas pouvoir trouver pire ». En dehors de son nom, son personnage ne m’a fait ni chaud, ni froid.
Le travail le plus remarquable se situe au niveau de James Bond lui-même. Le personnage est loin d’être aussi lisse et politiquement correct que dans les films ! 007 est un « instrument contondant », il n’hésite à tuer ou achever ses ennemis de manière brutale ou/et de sang froid. D’ailleurs là où les films évitent le sang pour plaire au BBFC afin d’avoir une classification tout public, les globules rouges et les bouts de cervelles volent dans Eidolon et sont bien visibles ! C’est un peu la marque de fabrique de ces comics de Dynamite pour l’instant. Si cela contraste un peu avec le Bond qui n’aime pas tuer de Fleming, cela lui donne un petit côté Jack Bauer diablement efficace. Quand il se bat, il ne fait pas les choses à moitié. La preuve par l’exemple avec cette illustration ci-contre : l’ennemi était déjà désarmé et à terre, ce qui n’a pas empêché Bond de juger opportun de l’achever d’une balle de P99 dans la tête à bout portant.
En parlant de sang, notons que le comics possède aussi une scène de torture (un thème que l’on retrouve souvent dans les romans) et que celle-ci a été revisitée d’une manière que je souhaitais voir depuis un certain temps voir dans l’univers de Bond. Bien que celle-ci soit courte, le concept derrière est sympa. Pour ceux que les spoilers ne dérangent pas :
Le Bond de Eidolon est capable d’actions immorales (parfois accompagné de quelques propos humoristiques), voire même un peu sadiques. Ci-dessous un dialogue qui m’a fait beaucoup rire :
Et si M ne fume plus la pipe, 007 lui ne se prive pas d’une bonne cigarette (cerclée de trois bandes, détail sympa) que l’industrie du cinéma lui interdit depuis plusieurs années. En parlant de bonnes choses, soulignons que la voiture principale de Bond est une Bentley Continental GT (la marque du Bond de Fleming) et non une énième Aston Martin (même si, comme dans VARGR, une Aston apparaît à un moment). Et puis, contrairement à certains jeux vidéo de notre agent secret, un L17A1 s’appelle bien un L17A1 et une Mercedes s’appelle bien une Mercedes (les noms réels des armes et des véhicules sont respectés).
Conclusion
Si vous avez aimé VARGR, Eidolon devrait vous plaire sans problème. Si vous n’avez pas aimez VARGR, faites-vous une faveur et donnez une seconde chance à Dynamite car celui-ci pourrait bien vous satisfaire. Si Eidolon possède quelques défauts, ils sont relativement minimes comparé au plaisir que l’on prend à parcourir ce livre que l’on a envie de lire jusqu’au bout. On a tout simplement envie de tourner les pages. On mettra toutefois un gros bémol au chapitre final qui se révèle assez faible, comme s’il avait été un peu bâclé, l’histoire se concluant de manière assez abrupte (même si cette fin inattendue est de ce fait un peu drôle). Si Eidolon méritait une meilleure fin, c’est parce qu’au fond, très peu de comics (hors strips) de la licence James Bond ne lui arrivent à la cheville ! Finalement ça valait le coup d’attendre et cela prouve à nouveau que 007 peut avoir une fois une vie en-dehors de l’écran (sans tomber dans un pastiche des films).
Dates de sortie :
- Eidolon est déjà sortie en VO sous la forme de six volumes (publiés du 22 juin au 28 décembre 2016).
- Ces six volumes seront regroupés en un seul (VO) pour le 1er mars (version électronique) et le 14 mars (version papier) 2017.
- Eidolon sera traduit en français (en un seul volume) aux éditions Delcourt pour avril 2017.
Pour aller plus loin :
– Les différents comics et strips James Bond.
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