CJB espère que vous aimez Opération Tonnerre car les prochaines semaines seront consacrées à l’évolution du script de ce film. Depuis la première tentative d’en faire le tout premier film de 007 en 1959-60, à un roman en 1961, jusqu’au gigantesque hit de Noël 1965, le chemin fut long pour Thunderball ! Venez l’explorer avec nous et nos amis de Mr. Kiss Kiss Bang Bang, Agent007.nu…
Épisode 1 : James Bond of the Secret Service
Épisode 2 : Les idées de Fleming pour le cinéma
Épisode 3 : Longitude 78 West
Et d’un roman !
Le 4 janvier 1960, peu après que Whittingham ait terminé son premier script de James Bond of the Secret Service, Fleming se rend en Jamaïque pour écrire son roman annuel de James Bond. Il choisit de faire Thunderball dont il se réfère comme « le livre du film » dans une lettre à son ami de longue date Ivar Bryce (à noter qu’en mars 1960, il écrira que « Thunderball » est un titre « provisoire »). Fleming (qui se disait aussi à court d’inspiration) avait « l’habitude » de réutiliser des scénarios de séries qui n’avaient pas abouti pour ses romans : ainsi le scénario d’une série nommée Commander Jamaica est devenu Docteur No et plus récemment quelques-uns des scénarios d’une série pour CBS ont été adaptés dans le recueil de nouvelles de Bons baisers de Paris (sauf que ces histoires-là étaient entièrement écrites par Fleming seul). Il signe un contrat avec Jonathan Cape (l’éditeur) qui garanti que le roman est original et qu’il ne viole aucun copyright alors que Cuneo l’avait pourtant avertit qu’il pourrait y avoir un litige avec McClory à propos des droits du roman. Fleming pense vraisemblablement que Bryce détient à lui tout seul les droits sur le scénario et estime qu’il y a suffisamment de différences entre le roman et le dernier script de Whittingham pour ne pas avoir de problème. (Quand le président de des éditions Cape a appris le lien qu’il y a entre le roman et McClory, il a laissé Fleming faire à son idée. La raison : les planning de publication des éditions Jonathan Cape pour Opération Tonnerre était si avancé qu’il aurait été « désastreux de reporter la publication ». Pourtant Cape dira plus tard à la justice, sous serment, qu’il ignorait que le roman était basé sur une histoire développée avec McClory).
Fleming n’était a priori pas si enthousiaste vis-à-vis de ce roman qu’il dédicace (seulement) à Ernest Cuneo. John Pearson cite une note de l’auteur à William Plommer qui accompagnait le manuscrit :
Je me suis certainement bien ennuyé avec celui-ci finalement, et je n’ai même pas été capable de le relire, bien que j’ai commencé à corriger les premiers chapitres. Ils ne sont pas trop mauvais, ce sont les vingt derniers chapitres qui me glacent.
Pourtant, Opération Tonnerre est une grande histoire avec de nombreux moments qui ne demandent qu’à être réalisés en film.
Le roman marque l’introduction formelle du SPECTRE à l’univers de James Bond. Fleming a sagement écarté la Mafia des précédents scénarios pour plutôt introduire l’infâme organisation criminelle (malgré qu’on le sente passionné par tout ce qui est mafia dans Thrilling Cities). L’inimitable Ernst Stavro Blofeld remplace le Capo Mafioso des précédents projets (et outre le carnet de Fleming, c’est dans ce roman que nous avons trouvé la première trace écrite de l’existence du personnage de Blofeld, nom qui est d’ailleurs inspiré d’une connaissance de Fleming.
Fleming écrit une merveilleuse introduction basée sur l’expérience de sa propre santé défaillante et sur une clinique qu’il avait visitée pour se rétablir quelques années plus tôt (1956), Enton Hall. Ainsi, Bond se retrouve à Shrublands. Là, pour la première fois, le comte Lippe est introduit à l’histoire. Cet agent du SPECTRE tente de tuer Bond via la machine à traction, mais Bond obtiendra sa vengeance. Nous rencontrons aussi Patricia Fearing, l’infirmière que Bond séduit. Cette introduction est d’une importance vitale pour le développement d’Opération Tonnerre, puisque que c’est là que Bond devient (personnellement) impliqué dans l’aventure qui va se dérouler.
Largo, maintenant doté du prénom Emilio, devient un personnage beaucoup plus élégant dans le roman, comparé au Largo de Whittingham qui faisait plus « voyou ». Ses nerfs restent solides tout au long de l’histoire, jamais il n’est pris de rage comme cela pouvait l’être chez Whittingham. La couverture de sa mission est également beaucoup plus solide puisque dans le roman Largo prétend mener une chasse au trésor. Cet effort exige des précautions de sécurité et justifie son yacht bien équipé, enfin baptisé le Disco Volante (et qui est désormais un hydroptère ou hydrofoil en anglais).
Et puis, il y a Domino, l’une des meilleures héroïnes de Fleming. Pour compléter son nom, Fleming a choisi Vitali, de l’italien « vita » qui signifie « vie ». Mais son vrai nom se révèle être Petacchi (avec un « c » de plus que le Petachi de Whittingham). Une partie de la description de Fleming évoque la description qu’en faisait Whittingham :
C’était une fille indépendante, avec de l’autorité et du caractère… Elle pouvait dormir avec les hommes, de toute évidence elle le faisait, mais ce serait sur ses modalités et non les leurs.
– Fleming.
(Largo) a une faiblesse… Il veut posséder – pour posséder – une jeune femme de la même manière qu’il possède des biens immobiliers ou son yacht. SOPHIA prendra son argent, elle va lui faire des faveurs quand cela lui (Sophia) conviendra, mais elle n’est pas la sienne. C’est son pouvoir sur lui.
– Whittingham
Malgré son indépendance affichée, la Domino dessinée par Fleming n’est pas loin non plus de la mélancholie. Cette caractéristique, on la retrouve notamment lorsqu’elle explique la vie secrète du marin des cigarettes Player’s, et le fantasme qu’il représentait pour elle, chose qui est absente des femmes écrites par Whittingham.
Fleming fait aussi revenir l’histoire du frère de Domino et il n’y a pas de suicide à la bombe atomique : à la place Domino tue Largo (sous l’eau) avec un fusil-harpon.
Le scientifique Kotze de Fleming est apolitique, simplement enthousiasmé de voir la technologie fascinante de l’Occident (car c’est un Est-Allemand passé à l’Ouest). Il n’a pas le zèle du Galante de Whittingham, et ne chaparde pas la fin à Bond.
À noter aussi que dans le roman, Largo est décrit comme le « numéro 1 » du SPECTRE (Blofeld dit notamment : « le numéro 1 est d’ores et déjà, à la suite de votre vote unanime, mon successeur en cas de mort ou d’empêchement »). Il n’y a pas de double du frère de Domino, c’est « Giuseppe Petacchi » lui-même qui se charge de la mission parce qu’il veut prendre une retraite dorée et profiter de la vie. Petacchi meurt poignardé d’un coup de stiletto (au lieu qu’on lui sectionne son tuyau d’arrivée d’air).
Quand Bond va faire sa plongée nocturne pour observer la coque du Disco Volante, il y a bien un plongeur qui l’attaque, mais Bond est sauvé par un barracuda qui vient s’en prendre au plongeur. Durant la bataille finale les plongeurs alliées sortent d’un sous-marin (au lieu d’être parachutés). Enfin, tout ce qui concerne Fiona Volpe et Paula du film n’existe pas dans le roman, tout comme Palmyra (on sait que Largo a une propriété nommée ainsi, que Felix et Bond la survolent, mais c’est à peu près tout ce qu’il s’y passe dans le roman).
En fin de compte, le roman Opération Tonnerre est devenu la clé de voûte pour la suite de ce long voyage. Tout ce qui avait été écrit avant ne semblait pas aussi bon ou aussi évolué : Fleming a changé cela dans le roman. On ressent tout de même dans le livre de Fleming un penchant pour l’action et les cascades visuels et impressionnantes, qui tranchent avec ses descriptions habituelles. Ce roman était déjà très proche de l’atmosphère des films telle qu’on l’aura dans les productions de EON.
Opération Tonnerre a été conçu comme un film, mais le « livre du film » a été écrit sans que ce film n’ait jamais vu le jour. Mais cela était destiné à changer…
Ultimatum
Le 28 janvier 1960, Cuneo écrit à Bryce une lettre sur comment il voit la situation, on y lit notamment « tu as été roulé par Kevin et plus que beaucoup […] les chances seraient que ta part serait celle que tu as eu pour The Boy : zéro », « tu détiens [les droits] sur le script et Kevin ne peut pas procédé sans toi et Ian ». De plus, il dit que Kevin est à court de fond (et ajoute que le fait que celui-ci ait des difficulté à produire la comptabilité de The Boy and the Bridge suggére des doutes raisonables d’irrégularité). Cuneo ajoute que Kevin a été informé dans un mémo de décembre 1959 (qu’il a signé) qu’il n’aurait pas davantage de fond après du 15 février 1960. « J’ai n’ai plus de patience avec Kevin […] il doit accepter le fait que la comédie est fini »
Alors que les touches finales sont ajoutées au roman, Ian Fleming se rend à New York pour rencontrer MCA (Music Corporation of America), sans que Kevin McClory ne soit au courant. Il faut dire que Ivar Bryce le gardait occupé avec un ultimatum : McClory avait six mois pour financer et commencer la production réelle, ou tous les droits sur le premier film de Bond seraient annulés. Les deux ont convenu de diverses conditions, mais aucun accord juridique n’a été écrit. Fleming de son coté commence à formuler des plans pour vendre le scénario à la branche londonienne de MCA, et on lui a demandé d’envoyer des lettres et des documents originaux décrivant son contrat avec McClory et Xanadu Productions.
Quand Fleming apprend le deal de six mois fait par Bryce à McClory, il est mécontent. Cela signifie qu’ils ne peut pas vendre le scénario avant six mois, en supposant que McClory échoue à concrétiser le projet entre temps. Bryce cherche alors à rompre ses liens de partenariat avec McClory, s’assurant que sur le papier la formation de Xanadu avait été strictement crée pour faire The Boy and the Bridge et rien d’autre.
McClory, d’autre part, tend la main à Samuel Goldwyn avec une version du script de Jack Whittingham (celle où Petachi est maintenant remplacé par un double de la Mafia). Cependant, le 28 juin 1960, le Times annonce que la Twentieth Century-Fox travaille sur un film Casino Royale et le 7 juillet le Los Angeles Times mentionne Gregory Ratoff comme réalisateur et Peter Finch comme la « star » (voir ici les détails de ce projet). Goldwyn refuse alors de faire Thunderball avant la sortie de Casino Royale et McClory affirme de nouveau à Bryce qu’il a les droits pour faire le « premier » film de James Bond…
Le 20 juillet, les touches finales du romans ne sont toujours pas terminées et Fleming écrit à Richard Chopping pour la couverture du roman : il voudrait une main de squelette dont les doigts reposerait sur la reine de cœur et un poignard qui la transpercerait.
McClory n’a pas réussit à faire avancer le film en six mois, il estime notamment que Bryce et Fleming ont sapé ses efforts tout au long de cette période, notamment en répondant à ses courriers en retard et en ne lui fournissant pas les documents dont il avait besoin (dont un qui établirait clairement que Fleming accepte l’utilisation du personnage de James Bond dans le film). Dans une lettre de Bryce à Fleming, Bryce ne dit ne pas comprendre cela car il « n’a pas entendu un mot de McClory depuis des mois » et qu’il lui « a donné tout ce qu’il a demandé depuis 2 ans et demi ». Bryce propose alors à McClory de racheter les droits qu’il détient sur le scénario de Opération Tonnerre mais l’Irlandais n’est pas enclin en s’en séparé, et il l’est encore moins lorsqu’il lit un exemplaire du roman en avance…
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Épisode 5 : EON s’empare de Thunderball (1961)
Épisode 6 : Un scénario de blockbuster
Épisode 7 : La fin de la route
Sources et articles de référence sur le sujet : Mr. Kiss Kiss Bang Bang (Inside Thunderball par John Cork), The James Bond Bedside Companion de Raymond Benson, The James Bond Archives de Paul Duncan, The Battle for Bond de Robert Sellers, James Bond : Le dossier secret de 007 de Kevin Collette, The Spy Command (hmss weblog), Agent007.nu, The Spy Who Thrills Us, mi6-hq (1), abj007, James Bond Radio (1), Thunderball-Artworks, Sylvan Mason, James Bond Radio (2), mi6-hq (2), 007 Magazine, Sabotage Times, Thunderball Obsessional, KevinMcClory.com, Ciné Magazine hors série N° 1, Bonhams, Dailymail.
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