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Comment Anthony Horowitz a réussi à capter le style de Ian Fleming pour une aventure totalement originale dans Déclic Mortel / Trigger Mortis

La sortie de Trigger Mortis par Anthony Horowitz a été accompagnée d’une très bonne réception de la plupart des critiques anglophones : le style et la narration de Fleming sont bien maitrisés, l’histoire est parfaitement bondienne, tous les éléments d’un roman sont réunis. On nous annonce que des morceaux originaux d’un traitement de Ian Fleming pour la télévision sont utilisés dans le roman, mais il est rigoureusement impossible de détecter là où le style de Fleming commence, et là où Horowitz prend la suite.

Mais à quoi tient le style Fleming ? En quoi Horowitz réussit-il là ou ses trois prédécesseurs (Sebastian Faulks, Jeffery Deaver et William Boyd) ont échoué à être convaincant ? C’est donc une bonne occasion, aujourd’hui que sort la version française, de se plonger dans ce qui fait le style Fleming, et la façon dont cela se retrouve dans Trigger Mortis.

Le style Fleming dans les grandes lignes, c’est quoi ?

Si on voulait résumer le style Fleming en quelques mots, on pourrait dire qu’on reconnait un de ses livres avec : des missions exotiques, un méchant très vicieux avec une histoire d’espionnage solide, des monologues intérieurs de James Bond sur la vie et la mort, les scènes de tortures bien saléees, des mises à morts de seconds couteaux fort cruelles, des femmes sublimes à tous les coins de l’histoire, des affrontements bien manichéens, des marques par-ci par-là, un Bond assez cynique.

Est ce que c’est tout ? Si l’on se limite à ses éléments, il y a de grandes chances de rentrer dans le mur. Avec Fleming, le diable est dans les détails, dans la tournure des phrases et l’équilibre des éléments. Faisons donc un petit tour d’horizon des techniques du père de James Bond qu’a empruntées Anthony Horowitz.

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La géographie, le luxe et ses petits détails

Si Bond voyage de part le monde, les romans de James Bond ne sont pas des guides touristiques. James Bond passe rarement dans des lieux très connus, ses missions l’envoient plus souvent dans les périphéries un peu pommées que dans des hauts lieux touristiques. Même s’il fréquente des lieux luxueux comme des casinos, des restaurants cotés ou, comme dans Trigger Mortis, des circuit de course reconnus, l’œil de Bond s’arrête plutôt sur l’arrière des villes, préfère les coins reculés, préfère toujours être en mouvement dans sa Bentley ou autre moyen de transport que de s’arrêter inutilement. Il lui arrive parfois de devoir s’arrêter dans des lieux luxueux, mais cela déclenche souvent son cynisme (sur la population des casinos), son écœurement (devant le luxe de Miami) ou sa désapprobation (dans Trigger Mortis, la foule racoleuse autour des pilotes de courses).

Aussi, chez Fleming comme chez Horowitz, on découvre les destinations non pas, à travers ses grands lieux touristiques, mais dans les détails de la vie quotidienne, les types de voitures que l’on y trouve, les diners, les passants, l’économie de la ville, la circulation, la vie dans les rues, quitte à faire de gros raccourcis sur dans le regard porté sur les gens qui y habitent. Vivre et laisser mourir nous donne un excellent exemple avec une virée nocturne dans Harlem qui se transforme en étude de caractères. Dans Trigger Mortis, Bond observe au vitriol la vie de banlieue américaine, et à un autre moment les liens entre les ruines des villes allemandes et le caractère de sa population.

Le sadisme nécessaire mais pas gratuit

Les supplices alambiqués sont les parties croustillantes des livres de Fleming. Aussi les auteurs qui sont passés après s’en sont donnés à cœur joie pour rendre les méchants les plus abjectes possibles (main de singe dans Le Diable l’emporte, passion pour les cadavres dans Carte Blanche, sadisme de chef de guerre bien trop réaliste dans Solo). C’est une erreur : si les méchants de Fleming sont difformes, ils n’en sont pas moins extrêmement policés. Les supplices infligés à leurs victimes et à Bond ne sont pas des purs plaisirs, mais des expressions de la personnalité glaciale des méchants. Les supplices de Dr. No tiennent de l’expérience scientifique, ceux de SMERSH sont hautement stratégiques, et les punitions du Gang Spang dans les Diamants sont éternels visent bien sûr à servir de châtiment visible à tous.

Trigger Mortis vous réserve bien des sueurs froides de la part de son méchant, le bien nommé Jason Sin. Mais ce ne sont pas des supplices gratuits. Derrière l’apparence perverse se tient souvent un résonnement parfaitement calculé et mesuré, et expliqués par l’histoire du méchant. Les méchants littéraires sont hauts en couleurs, mais ne sont pas des caricatures d’eux mêmes. L’extrait mis en ligne sur le supplice de Pussy Galore est à la fois effroyable et parfaitement mesuré. Ce sont ces froids calculs que les méchants ont en tête qui les rendent si passionnants.

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La fièvre du jeu et de l’espionnage

Trigger Mortis marque le grand retour du jeu dans les romans d’après Fleming. On a vite fait de mettre Bond derrière un paquet de carte, ou un jeu socialement acceptable qui lui permet d’affronter le méchant. Mais chez Fleming, le jeu est bien plus que ça. Pour les méchants, il s’agit du reflet de leur vice (appât du gain, de la victoire, de l’amour propre, du cynisme). Le talent de Fleming, c’est de transformer ces vices en mission d’espionnage. Bond, naturellement bon dans la plupart des jeux, doit donc descendre dans la perspective perverse du méchant pour le battre à son propre jeu avec ses mêmes méthodes.

Tout l’intérêt du livre tient justement à voir Bond partagé entre sa mission qui l’amène à affronter les ennemis, et le risque de basculer dans le coté sombre des jeux avec ses paris effrénés. Le Casino Royale de 2006 est en ce sens la meilleure adaptation des livres de Fleming. Avec la course de Nüburgring, Horowitz renoue avec les paris à hauts risques, quand les divertissements deviennent mortels, et bien plus importants que le simple sport. Le talent d’Horowitz mêlé au traitement de Fleming donne un cocktail très réussi qui amène le lecteur avec Bond dans la fièvre des courses de bolides.

Mesquinerie et psychologie

La société de Fleming des années 1950 et 1960 est assez fascinante : elle sort de la guerre, et commence à s’adonner au luxe de la consommation. Les destinations exotiques deviennent accessibles, la misère commence à s’éloigner. Pourtant, Bond n’est pas dupe. Derrière chaque morceau de luxe, chaque aspect de la société de consommation, Fleming, et Bond à travers lui, voient les aspects les moins reluisants des personnes : petitesse, avidité, consommation aveugle, richesse non mesurée, sexualité déviante, vanité des personnes sont autant de choses sur lequel Fleming pointe son doigt, comme par exemple le mode de vie du Major Dexter Smythe et des anglais de Jamaïque dans la nouvelle Octopussy.

La psychologie n’est jamais très loin et assez simpliste. Fleming rapproche souvent ça de vices cachés, de la vie de famille morose, de l’ennui du couple, de l’influence des parents, ou bien souvent des mœurs de la nationalité des personnages, ou de leur race. C’est ce qui nous donne bien souvent des commentaires frôlant le racisme, ou l’homophobie, mais qui donnent une belle couleur aux personnages et donnent tout leur sel aux descriptions.

Trigger Mortis s’ouvre par exemple sur un scientifique allemand aux États-Unis sur le point de livrer des secrets à l’ennemi. En quelques paragraphes, sa trahison est justifiée par son parcours, l’exiguïté de son monde scientifique, sa fascination pour la conquête spatiale, sa vie de famille… autant de vice cachés plutôt simples qui en font un personnage pas très sympathique, mais au fond très normal. C’est ce même ennui dans la vie de couple, un classique chez Fleming, que l’on retrouve dans la vie londonienne de Bond dans Trigger Mortis.

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Des marques au service des descriptions

Trop souvent, les nombreuses marques dans les livres de Fleming sont transformées en placement de produit (Carte Blanche), ou en name dropping (réellement abusif chez Solo), qui donne l’impression de donner une touche flemingienne en utilisant des marques comme autant d’adjectifs de bon gout. C’est une erreur.

Chez Fleming, les marques sont utilisées de façon beaucoup plus subtiles pour caractériser les personnages. On sent derrière chaque élément l’expérience de consommateur de l’auteur.  Les marques ne sont pas une fin en soi pour parler de luxe. Bien souvent, les gouts de Fleming ne sont pas forcément les plus à la mode et sortent des sentiers battus quand on parle de nourriture ou de mode de vie. Quand les marques apparaissent, c’est souvent au détour d’une phrase ou d’une description pour parler un peu du caractère de la personne.

D’ici une heure, pensa-t-il, il aurait gagné assez d’argent pour acheter une voiture acceptable et une montre acceptable – de fabrication Suisse bien sûr, peut-être une Heuer ou une Rolex – et surtout, une vie acceptable. – Déclic Mortel

Dans ce passage, Anthony Horowitz reprend la description de la voiture et de la montre du personnage évoquée plus haut dans le chapitre pour introduire la scène, et se sert de cette phrase pour montrer son aspiration à avoir quelques chose de mieux. Il ne s’agit pas de faire de la pub pour Rolex comme référence du bon gout, mais d’insister sur le fait que le personnage en a assez de l’a peu près et a envie d’un peu de haut de gamme dans sa vie sinistre.

On est toujours dans la société de consommation, mais au service de la description du personnage, ce qui permet de le situer (souvent à la marge) de cette même société.

L’amour des descriptions techniques et des jugements hâtifs

Fleming a vécu dans le monde de l’espionnage, au milieu de technologies, armes et gadgets qu’il n’a probablement jamais utilisé; Cela se ressent dans ses livres où l’auteur passe un temps considérable à détailler certaines machines et technologies. On y voit l’amour de ces machines bien conçues et de la relation des agents secrets avec elles : cela tourne souvent autour d’armes (comme la relation fusionnelle de Bond et son Beretta, ou avec sa voiture). Mais il ne s’agit pas de juste venter une machine bien faite. Comme pour les marques, il s’agit de montrer la relation entre le personnage et la machine.

Dans Trigger Mortis, on a le droit à une description d’une Mazerati 250F quasi-sensuelle à travers les yeux de Bond.

En revanche, en dehors des technologies et gadgets, de la bonne nourriture et des femmes, Bond a un intérêt limité pour le reste, ce qui nous amène à des jugements rapidement arrêtés par Bond, qui sont du coup assez amusant.

Bond trouvait obscène la façon dont les femmes se positionnaient pour jouer de cet engin [le violoncelle], et trouvait idiot qu’on n’ait pas trouvé un moyen de leur permettre de pouvoir jouer de l’instrument “en amazone”. – Bons baisers de Berlin (Tuer n’est pas jouer)
Bond laissa les munitions dans la voiture et pris uniquement son porte monnaie et son arme, ce qui, jugeât-il, était tout ce dont on avait vraiment besoin en Amérique. – Déclic Mortel

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Les femmes : entre attraction et cynisme

Chez Fleming, comme partout dans les James Bond, il y a toujours de belles femmes qui peuplent les missions. Mais il ne suffit pas de simplement donner un nom absurde à un personnage féminin et la faire coucher avec Bond à la fin de la mission pour ressembler à Fleming.

Bond est quelqu’un qui pense fréquemment aux femmes, de façon sexuelle, et ce aux moments les moins adaptés. On le voit toujours partagé entre sa mission et sa réserve vis à vis des femmes inconnues. Alors qu’ils parlent boulot, l’esprit de Bond s’arrête souvent sur les courbes des femmes, leurs vêtements et en tire des suppositions sur son caractère. En revanche, quand l’action bat son plein, Bond sait se détacher totalement de la féminité des Bond Girls pour ne s’arrêter qu’aux détails concrets (même si souvent très physiques). C’est toujours intéressant de voir comment Bond peut se permettre des digressions sexuelles assez longues pendant les dialogues, pour très rapidement se concentrer sur l’action quelques pages ensuite.

Trigger Mortis nous offre ainsi des descriptions assez amusante d’un Bond pas très concentré sur ce que sa monitrice de conduite lui raconte, et des changements d’humeur rapides vis à vis de la Bond Girl principale Ms. Jeopardy Lane, dès que l’action s’échauffe.

Le cynisme de Bond peut aussi aller très loin avec Bond une fois la mission terminée quand il s’agit de penser à une relation sur le long terme, avec des conclusions qui ne sont souvent pas en faveur de Bond. Trigger Mortis s’inscrit aussi dans cette lignée.

Le petit monde de l’espionnage

Fleming aime à parler du monde des espions où il a évolué, et raconter la formidable machine bien huilée des services secrets. Quand l’occasion lui est donnée, Ian Fleming aime donner la parole à un personnage secondaire, un allier de Bond ou un contact, qui va lui expliquer, en même temps que nous lecteurs, un aspect du monde de l’espionnage. Pour que cela soit crédible, Fleming nous peint souvent des personnages du monde de l’espionnage à la fois réaliste et un brin stéréotypés, mais qui viennent apporter de l’authenticité au récit, que l’auteur a souvent vécu de première main pendant la guerre.

Goldfinger et les Diamants sont éternels offrent de beaux cours sur le trafic de lingots d’or et de diamants, Bons baisers de Russie sur l’organisation du SMERSH, Vivre et laisser mourir sur les cérémonies vaudou et le trafic de pièces d’or. Dans Trigger Mortis, on a le droit à un très bon personnage qui nous parle de la bataille pour la conquête spatiale, mais le meilleur moment se trouve dans les premiers chapitres quand Horowitz nous fait faire un détour par la salle des communication des Services Secrets.

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Des symboliques jamais très loin

Les premières analyses du style de Fleming par Umberto Eco ont tout de suite souligné le schéma récurrent des romans avec des symboliques très chevaleresques : le bien contre le mal, la défense du pays, la conquête du repère du méchant vu comme la prise d’un château…

A ce titre, il est très facile de faire dans la manichéen, mais il est dommage de se priver de toute cette symbolique qui fonctionne si bien : les terrains vagues de Washington et les zones de guerre dans Solo sont bien trop mornes, et Bond qui désobéit au service de sa Majesté ? Cela ne se fait juste pas. Dans le même genre, le repère du méchant de Carte Blanche au centre d’une décharge fait un peu tomber la grandeur du récit à plat.

Trigger Mortis n’a pas froid aux yeux en faisant habiter son méchant… dans un château. Et d’autres surprises vous attendent dans le livre avec des symboliques pas très fines, mais terriblement efficaces.

Dans la tête de James Bond

Une des erreurs des romans qui ont suivi Fleming est de caser un passage de monologue obligatoire dans les temps morts de leurs livres, pour remplir le quota “Bond est un cynique”. C’est une mauvaise lecture de Fleming.

Chez le père de James Bond, on n’a pas l’impression d’avoir beaucoup d’action pour la simple raison que les monologues intérieurs et extérieurs de Bond sont intrinsèquement liés à l’action. Bond passe beaucoup plus de temps à observer et analyser une situation qu’à la résoudre. Ce sont même souvent dans ces moments qu’il part le plus loin dans ses réflexions. Dans Goldfinger, 007 passe beaucoup de temps à se demander comment il va se débarrasser d’Oddjob et à attendre son moment avant de passer à l’action. Mêmes aux moments d’actions les plus terrifiants et les plus rapides, la narration ralentit et se met en apesanteur pour donner à Bond le temps de réfléchir à sa stratégie, anticiper les mouvements de l’ennemi, garder un œil sur les comptes à rebours.

Ce sont ces moments qui font monter la tension et nous apprennent vraiment qui est Bond. Les autres passages où Bond réfléchit et philosophe ne sont jamais gratuits. Ils sont souvent très liés à l’endroit où il se trouve et aux méchants qu’il affronte. Certains passages vont très loin, comme par exemple dans Casino Royale avec un vrai débat sur la nature du mal entre Bond et Mathis, mais cela reste plus souvent l’exception que la règle.

La plupart du temps, Bond a des réflexions fort simples qui portent plutôt sur sa routine, et les réflexions plus sérieuses se font au cours de la mission, ou parfois en épilogue. Il faut éviter de trop vouloir en mettre dans la tête de Bond

Ne me décevez pas en devenant humain vous même, James. Nous y perdrions une machine si efficace – Mathis dans Casino Royale

En espérant que cet article vous aura envie de lire Déclic Mortel, il ne nous reste plus qu’à vous souhaiter une bonne lecture !

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