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[Thrilling Cities] Des villes pour James Bond #1

Voilà quelques jours que j’hésitais à écrire une review du livre Thrilling Cities de Fleming (1963), paru en France sous le titre de Des villes pour James Bond, mais voici que l’acteur/producteur Michael Weatherly, principalement connu pour le rôle de DiNozzo dans la série NCIS, me fournit une bonne excuse pour m’y mettre. En effet, ce dernier vient de confier la chose suivante au Hollywood Reporter la semaine dernière :

Dans l’intervalle, cependant, Weatherly a dit qu’il était plus occupé que jamais avec sa société de production, Solar Drive Productions, qui travaille a adapter le livre Thrilling Cities, de Ian Fleming, le créateur de James Bond, en une possible série télé.

villes_pour_james_bondThrilling Cities, c’est quoi ?

Mais qu’est-ce que Des villes pour James Bond ? Il s’agit d’un récit de voyage comme l’explique Fleming : « Dans cet ouvrage, j’ai réuni treize essais portant sur quelques-unes des villes les plus captivantes du globe, essais écrits pour le Sunday Times en 1959 et 1960 ». Alors, c’est un simple livre qui décrit des villes ? Oui et non, étrangement Fleming décrit en partie l’ambiance des rues, l’architecture, la nourriture, etc… comme on pourrait s’y attendre ; mais il ne le fait pas avec grands détails, non l’auteur à plutôt tendance à faire des digressions pour rapporter des faits divers et des anecdotes, ce qu’il a fait lors de son voyage, parler de quelques personnalités locales qu’il a rencontrées, et visiter des lieux auquel on ne s’attend pas. Chaque chapitre se termine par une section « informations facultatives » où Fleming énumère une liste d’hôtels, restaurants, nourritures et distractions nocturnes qu’il recommande.

Et James Bond dans tout cela ? Seul le titre de l’édition française renvoie à 007, mais cela avait probablement un but purement commercial pour l’éditeur, car ce n’est pas un récit de James Bond, ni un livre de fiction. Toutefois, certaines éditions de Thrilling Cities (qui n’inclus pas la française) possèdent la nouvelle 007 in New York en leur sein, qui est quant à elle une aventure de l’agent 007 ! Nous en parlerons plus tard…

Parce que vous écrivez des thrillers, les gens pensent que vous devez mener une vie extraordinaire, […]. Partant de cette fausse idée, le comité de rédaction du Sunday Times […] eu l’idée d’une sorte de tournée qui me mènerait dans les villes les plus excitantes du monde.

Fleming n’est pas convaincu du projet, tente jours pour visiter huit villes (à raison de trois jours par ville) ne lui semble pas idéal pour écrire des reportages dessus. De plus cela ne l’intéresse pas vraiment d’enchainer des musées, régions en voie de reconstruction, déjeuners avec les autorités officielles…

Ce n’est pas du tout ce que nous voulons, dans vos livres sur James Bond, le public, même quand il a peine à encaisser Bond et vos héroïnes à la gomme, parait apprécier l’atmosphère exotique où vous les placez.

Leonard Russell du Sunday Times.

Le 2 novembre 1959 donc, Fleming embarque dans un avion direction Hong Kong pour son premier voyage qui allait donner Thrilling Cities :

Désireux en mon for intérieur de voir le monde, même en vitesse, tant qu’il était encore là pour être vu, je pris un billet pour le tour du monde […], obtint du chef comptable la somme de 500 £ en chèques de voyage et mis fit infliger un certain nombre de vaccins […].

À la découverte des chroniques de voyage de Fleming

Le terme « article » est trompeur pour ces billets qu’écrit Fleming pour le Sunday Time ; chacun d’eux est une réelle chronique de voyage touchant presque à l’essai, et le livre est relativement gros (280 pages pour mon édition). Malheureusement, il n’a été traduit et édité qu’une seule fois en français par Michèle Brion pour les éditions Plon, en pleine bondmania de 1965.

Aujourd’hui, seule cette édition française existe et on peut encore trouver quelques exemplaires d’occasion. La version originale en anglais rééditée plus récemment est quant à elle beaucoup plus facilement trouvable. Pour vous donner envie de vous lancer à la recherche de l’édition française, ou de vous embarquer dans les récits en anglais, on vous propose un résumé des destinations explorées par le créateur de James Bond (les droits appartiennent bien sûr aux héritiers de Ian Fleming et aux éditions Plon qui ont assuré la traduction et publication de cette édition française). Toutefois, on vous recommande très fortement de lire cet ouvrage par vous même plutôt que de le vivre à travers ce résumé avec spoilers :

Hong Kong

Fleming commence par décrire longuement son voyage en avion « […] les yeux qui piquent à cause de l’éclat extérieur, l’odeur des produits d’Elizabeth Arden et de Yardley que la B.O.A.C. dispense à ses passagers, […] la première cigarette d’une d’une interminable série et la première tentative de conversation avec le voisin […] » et ses escales. L’avion se pose à Beyrouth que l’auteur décrit comme « une ville de filous […] je conseillai à mon voisin de ne pas laisser le moindre petit objet sur son siège, […] nous entrions maintenant dans les régions de voleurs du monde ». Il décrit aussi Beyrouth comme la grande étape de la contrebande mondiale (opium, or, diamant, porno, etc…), « l’aéroport prétentieux et vide aux murs lépreux, aux vastes dallages […] nos passeports provisoirement confisqués par une maussade police libanaise […] c’était plaisant [de retourner dans l’avion] ».

Après Bahreïn et son aéroport qui est « le plus infect du monde » et où les « toilettes ne seraient même pas admises en prison », l’avion de Fleming atterri en Inde, un pays qui a « toujours déprimé » Fleming : « je ne peux supporter le désordre et la crasse universelle, ni l’impression, fausse j’en suis sur, que chacun ne fait que tacher de vivre sans rien faire aux dépens du voisin ». Les manifestations extérieures religieuses le « navrent » aussi. En revanche Fleming est beaucoup plus enthousiaste envers la Thaïlande : « c’est le premier site d’une beauté vraiment frappante que j’ai vue jusqu’à ce moment » et Bangkok est « une ville de rêves » en dépit des moustiques et de l’humidité.

Après ce long voyage, Ian Fleming arrive enfin à Hong-Kong ! « La ville la plus animée, la plus fascinante que j’ai jamais vue […] il semble que l’on puisse trouver de tout […] confort moderne […] tous les sports […] le plus remarquable terrain de golf de tout l’Orient […] de merveilleux endroits pour la pêche sous-marine […] La présence de 650 millions de Chinois communistes au-delà de la frontière ne semble qu’ajouter du piment au plaisir qu’on ressent dans cette colonie ».

Fleming se rend dans des bars, restaurants, qu’il décrit avec son style impeccable. Puis il se rend à Le Monde de Suzie Wong que Richard Mason a décrit dans son roman éponyme. « À Hong-Kong, le mythe de Suzie Wong demeure » : ce roman raconte l’histoire de Robert Lomax, un jeune peintre anglais qui à la recherche de l’inspiration, il s’installe au Nam Kok, un hôtel de passe dans le quartier de Wan Chai. Il devient très vite l’ami de la plupart des filles de l’hôtel, mais reste particulièrement fasciné par l’une d’entre elles, Suzie Wong. Fleming conclut son voyage à Hong Kong par : « il y a peu de villes que j’ai quittées avec plus de regrets ».

Macao

Situé à une cinquante-soixantaine de kilomètres de Hong Kong, Macao (possession portugaise à l’époque) est le second chapitre de Thrilling Cities. Fleming commence par expliquer que l’or est un sujet de conversation courant en Orient et qu’un certain Docteur Lobo est le « roi » de l’or dans cette partie du monde. L’une des curiosités de Macao est qu’il n’y a aucun impôt sur le revenu, pas de contrôle sur les changes de monnaie et une liberté complète d’importation et d’exportation sur les devises étrangères. Ainsi l’endroit est propice pour l’achat et le trafic de l’or.

Fleming se renseigne sur les quatre personnes qui « contrôlent vraiment presque tout ce qu’il se passe à Macao » : Lobo (l’or), Fou Tak Yam (activités de « divertissement »), M.C.Y. Leung (un personnage silencieux) et Ho Yin (commerce avec la Chine communiste). Il se rend dans la « rue du Bonheur », rue uniquement consacrée aux plaisirs, et plus particulièrement au Central Hotel de Mr. Fou, un vaste établissement dédié aux « vices de l’humanité » sur ses neuf étages. Fleming y joue au Fan-Tan puis au hi-lo et raconte aux lecteurs les règles et ce qu’il pense de ces jeux, avant de se rendre au dancing puis s’assoir sur une banquette avec son compagnon de voyage (Richard Hughes) et deux « hôtesses » de l’établissement. Lorsqu’il est à court d’inspiration avec les femmes, Fleming nous raconte qu’il a recours à un vieux truc : lire les lignes de la main de la jeune fille.

Fleming explique que les femmes orientales ont un « désir de plaire » de sorte que l’homme part de bonne humeur avec une haute opinion de lui-même alors qu’en occident, les femmes prennent un « si féroce plaisir à réduire l’homme à aux plus minables proportions ». Le lendemain, il part à la rencontre du Docteur Lobo et décrit l’entretien qu’il a eu avec lui aux lecteurs. Parmi les sujets évoqués : l’or et les Tongs ou Triades.

Sur la route de retour vers Hong Kong, parle des Triades qui avaient à l’origine des buts louables avant de finalement sombrer dans le crime, le chantage, le jeu… Il s’intéresse particulièrement à la Triade 14K sur laquelle il décrit notamment la cérémonie d’initiation des membres. Fleming finit son chapitre sur Macao avec une brève conversation avec un passeur d’or.

Tokyo

Ian Fleming arrive au Japon avec plein de réticences, celui-ci ayant été l’ennemi pendant la Guerre. Il qualifie toutefois son arrivée de « réussie » et rencontre Tiger Saito, rédacteur en chef de la revue This is Japan (qui servira plus tard d’inspiration pour un certain Tiger Tanaka). Il devra alors loger dans une auberge japonaise (Foukoudaya) avec ses compagnons (Richard Hughes et Saito) et après « courbettes » et « retirage de chaussure » (deux choses que Fleming semble ne pas trop apprécier tout au long du chapitre), il découvre sa chambre typiquement japonaise. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il ne l’aime pas vraiment, notamment à cause du plafond trop bas et la table à ras du sol contre laquelle il pousse un juron. Il se sépare pour la nuit de Hughes, « furieux ».

Ian Fleming Japon

Cependant pour le lendemain, Fleming écrit : « j’en arrivais même à aimer mon absurde et diablement jolie petite chambre ». Pour son séjour au Japon le programme de Fleming est le suivant : « Je voulais […] rencontrer Somerset Maugham, […] visiter l’Académie Supérieure de judo, voir un match de lutte Sumo, explorer la Ginza, avoir le plus luxueux bain japonnais, passer une soirée avec des geishas, consulter le meilleur diseur de bonne aventure, faire une excursion d’une journée à la campagne ». Ainsi que de « tirer au clair la question de savoir ou non si le saké était une boisson alcoolique ».

Fleming rencontre donc Maugham dont l’amitié repose « sur le fait qu’il aurait lui aussi voulu épouser ma femme, de sorte qu’il est toujours content de me voir, ne serait-ce que pour avoir de ses nouvelles » puis ils se rendent au judo, quelque chose qui intéresse Fleming depuis Eton. Il est impressionné par l’Académie, notamment par un vieux qui apprend des passes à un jeune garçon.

Le lendemain Fleming va voir un voyant connu, il se dit assez intrigué par « toutes les questions qui touchent à la perception extra-sensorielle ». Verdict de ce voyant qui prédit qu’il vivra jusqu’à 80 ans : « Cela ressemblait assez au genre de choses que j’avais dit à l’hôtesse à Macao. Il ne devait pas y avoir mieux ». Apprenant deux semaines plus tard la mort du voyant, Fleming écrit : « considéré avec quelques reculs, cette curieuse affaire [du voyant qui n’a pas vu sa propre mort] donne un peu de sel à ce qui ne fut, par ailleurs, qu’une matinée de gâché ».

L’auteur parle ensuite de son expérience aux bains, « beaucoup de Japonais ne disposent pas chez eux de salles de bains, et les deux-trois bains qu’ils vont prendre aux bains publics chaque semaine sont de vraies festivités ». Là il fut pris en main par une employée, Kissy, « qui ne portait que de tout petits shorts blancs et un soutien-gorge ». Fleming raconte le rituel du bain où il fut mis dans un bain, s’est fait laver les cheveux par Kissy, s’est fait versé des cruches d’eau, jusqu’au massage. « En orient, tout ce qui trait au sexe est un délicieux passe-temps, sans aucun rapport avec le péché, […] quelque chose de beaucoup plus léger qu’en occident où je crains que le récit de bain japonais ne puisse choquer ».

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Pour Ginza, Fleming écrit « les jeunes Japonais sont gaies et entreprenant […] ce qui contraste avec la flânerie que l’on peut normalement observer à Piccadilly. […] Ils se heurtent et se bouscules sans s’excuser et apparemment sans se formaliser. Ce sont les seuls chauffeurs de taxi au monde qui n’attendent ni ne reçoivent de pourboire ». Fleming passe ensuite sa soirée avec des geishas, qui ne sont pas des prostituées, mais des sortes d’artistes. Il conclut ce chapitre par les divers hôtels et restaurants (poisson-fugu, bœuf de Kobé, etc..) en disant aux lecteurs de ne pas se laisser tromper par l’apparence inoffensive du saké…

Honolulu

Pour se rendre à Hawaï, Fleming prend l’avion un (double, avec les fuseaux horaires) vendredi 13 ! Mais comme il le dit avec humour, « tant pis […] il fallait essayer d’être en accord avec mon héros » (qui dit dans Bons baisers de Russie : « Mais c’est toujours mieux de voyer le 13 ! Il n’y a pratiquement pas de passager »). Mais il se trouve que la malédiction du vendredi 13 frappe puisque l’un des moteurs de l’avion dans lequel se trouve Fleming explose en l’air. Évidemment, le pilote parvient à faire atterrir l’appareil en un seul morceau sur l’ile Wake, mais ce ne sera pas la dernière fois que Fleming écharpera à la mort dans Thrilling Cities…

Fleming reste donc quelques heures sur l’ile Wake sur laquelle il ne fait pratiquement rien avant de prendre l’avion de remplacement qui l’amène à Honolulu où il se fait passer des guirlandes de fleurs autour du cou dès son arrivée. Fleming n’a pas vraiment apprécié Honolulu à cause de la population qu’il dit être en grande partie constituée de retraités américains : « hommes ventrus ou desséchés, les femmes informes avec des cheveux rincés aux bleu […] Si seulement ces hordes d’âges murs s’habillaient conformément à cet âge […] il y a quelque chose de déprimant à voir des milliers de personnes de 68 à 70 ans habillées à la mode hawaïenne. […] Je pus plus tard observer, que sur la plage, ces vieilles goules étaient encore plus affreuses sans leurs muumuus avec leurs énormes cuisses veinées de bleu pleines de cellulite, leurs cous noueux et leurs poitrines tombantes entourées de guirlande. […] Il y a si peu de jeunes […] ils ne peuvent s’offrir ni le voyage, ni le prix du séjour ».

À Honolulu, Fleming s’essaye au surf, mais « après avoir reçu pas mal de contusions et m’être plusieurs fois à moitié noyé, je finis par regagner honteusement le rivage » et visite entre autres le zoo qu’il désigne comme « l’un des plus beaux que je n’ai jamais vus » (plutôt de de jeter un œil vers un volcan qui venait d’entrer en éruption).

Los Angeles

À Los Angeles, Ian Fleming va rendre visite au Capitaine James Hamilton de la LAPD (Los Angeles Police Department) où les deux hommes discutent de la Mafia et de la entre guillemets « Justice » américaine. « Nous ne cessons d’avoir des ennuis avec ces gens-là. Un jour, un Italien est buté sans la moindre raison […]. Deux ans plus tard nous découvrons qu’il était l’assassin d’un autre Italien de Chicago […] Nous sommes débordés d’histoires de ce genre ».

Fleming explique que l’une des méthodes qu’avait trouvé Hamilton pour tenter d’enrayer les Syndicats était de faire suivre de près les mafieux par deux de ses hommes de manière bien voyante dès leurs arrivés à l’aéroport ou à la gare : « au bout de 24 heures de ce régime […], le gangster en avait assez et quittait la ville. Mais maintenant ce n’est plus aussi facile. Le milieu est revenu s’installer en ville, cette fois pour y exercer la protection. [Il ouvrit un tiroir et en sortit un billet de 100 dollars] Ce billet a été fourré hier dans la poche de l’un de mes hommes par ces types-là. […] La délinquance a augmenté six plus vite que le chiffre de la population de Los Angeles […] ».

Après d’autres chiffres alarmants, le Capitaine est bien obligé de dire que le système de justice n’aide pas : il donne plusieurs exemples comme celui de deux policiers qui faisaient une patrouille lorsqu’une Ford, conduite par quelqu’un qui avait cambriolé un bowling, a déboulé devant eux. Ils ont pris la voiture en chasse (sans savoir pour le cambriolage) et l’ont arrêté, l’un des deux suspects a pris la fuit tandis que les policiers ont retrouvé des révolvers, une grosse somme d’argent et un marteau dans l’auto. Les tribunaux ont soutenu que les policiers qui avaient arrêté la Ford n’étaient pas au courant du cambriolage et que l’arrestation et la fouille étaient donc « déraisonnables ». Les deux suspects, qui avaient déjà un casier judiciaire, furent relâchés. « Une vague montante de criminalité et l’on-dit à la police de ne rien faire ! Alors, qu’arrive-t-il ? Un brave policier arrête un criminel qui a un casier judiciaire long comme le bras et il reçoit une engueulade dont il se souviendra », ajoute James Hamilton.

Las Vegas

Fleming est accueilli à l’aéroport de Las Vegas par des machines à sous et un distributeur d’oxygène pur qu’il essaye « sans résultat appréciable ». Qui dit Vegas, dit casinos et Fleming se rend au Tropicana où il joue aux machines à sous et décrit longuement ses parties successives. Après avoir parlé des casinos tenus par le milieu, il rapporte à ses lecteurs un mémo intitulé Comment joue-t-on intelligemment ? :

« Il faut d’abord vous avoir vous même bien en main et savoir résister à la voix intérieure. Vous ne pouvez pas battre Aristote, mais vous pourriez, pourriez seulement, saisir certains de ses trucs. […] Décidez la somme maximum que vous acceptez perdre et sachez vous y tenir. Si vous enfreignez cette règle, rien ni personne ne pourra vous venir en aide. Il vaut mieux diviser la somme en jours, de façon à ne pas tout perdre dès les premiers jours […]. Maintenant, et c’est le plus difficile, décidez du maximum que vous voulez gagner […]. Mais surtout, si vous vous surprenez en misant, à penser à ce que vous pourriez acheter avec le montant de la mise : PARTEZ ! […] ».

Fleming visite ensuite des spectacles, casinos (Le Golden Nugget est son favori, « l’atmosphère est très Western »). « Dés que vous pénétrez dans le hall d’un hôtel, des batteries de machines à sous vous font signe. On y entend 24h/24 le cliquetis des jetons […] À Las Vegas, le silence fait peur ». Il conseille notamment les steaks en nourriture et dit que le Strip est poussiéreux et terne le jour. Fleming termine son aventure à Vegas en disant : « Après avoir tout réglé, j’avais réussi à carotter 100 dollars aux syndicats, sans parler de trois cendriers ».

Chicago

Ian Fleming arrive maintenant dans des régions du globe plus froides et se remet entre mains de Playboy. Il se rend au bâtiment du magazine où il dicte à la plus ravissante secrétaire la liste de ce qu’il veut faire, soit : « s’informer sur la criminalité de Chicago, rendre une petite visite sentimentale à l’un des centres géographiques des territoires d’Al Capone, et enfin, ce qui va surprendre les lecteurs, passer un après-midi entier au Chicago Art Institute ».

Pour satisfaire le premier point de ce programme, il rencontre Ray Brennan, reporter criminel du Sun-Times. « Oui bien sûr Chicago continuait à être pourri par le crime, dit-il. Mais […] les gangsters préféraient maintenant opérer sans révolvers. […] Le gros bonnet de Chicago était maintenant un certain Tony Accardo. Un autre gros bras se nommait Marshall Caifano. […] Accardo, que les journaux désignent sans se gêner comme le Caïd du Syndicat du Crime, est un exemple typique de l’homme du milieu nouvelle vague. Il est beau […], excellent joueur de golf […], fait des dons généreux à des œuvres de charité. […] Ses fameuses réceptions sont courues par les […] politiques les plus en vue ». Fleming rapporte les activités de ces gens du milieu dont les revenues proviennent principalement du racket, des courses, de la drogue, des jeux et de la prostitution.

Le lendemain, Fleming visite la fameuse boutique de fleur de Dean O’Banion, le garage du massacre de la Saint-Valentin, etc, en expliquant brièvement aux lecteurs ce qu’il s’est passé en ces lieux… Puis pour purifier son « esprit de la souillure des anciens crimes », Fleming visite le Chicago Art Institute, la galerie de peinture qu’il préfère au monde, « les plus beaux impressionnistes français que l’on puisse voir ».

L’auteur recommande également une promenade sur les rives du lac Michigan, « un impératif absolu », et précise « qu’une seule bouffée venant de l’énorme boucherie des abattoirs de Chicago suffirait à dégouter définitivement de la viande à un cœur sensible » (bien qu’il recommande un restaurant du coin).

New York

« C’est à New York que je me suis le moins plu », annonce Fleming dès la première phrase. « À chaque fois que j’y reviens (or j’y suis revenu chaque année depuis la guerre), j’ai l’impression que la ville a encore perdu de son cœur. Acier et béton armé, aluminium et cuivre, engainant les nouveaux buildings ont effacé les rues aux maisons de briques foncées qui avaient autrement tant de douce chaleur. […] L’indifférence totale, la rudesse du New-Yorkais, vous couperons toute sympathie affective envers la ville […] Il s’agit en partie de la chasse hystérique à l’argent […] qui gâche tout. […] À New York, à moins de payer pour en avoir, vous n’avez pas le droit à la politesse. Le système du pourboire y sévit jusqu’à la démence […] ».

Fleming dit aussi que l’Amérique traverse une mauvaise passe entre scandales, révélations alarmantes, succès des Spoutnik en Russie… Il rapporte les paroles de l’hebdomadaire Nation sur les problèmes de New York sous le titre de Une ville sans âme : « New York a environ 9 millions de rats pour 8 millions de citoyens […] ses forces de police s’élèvent à 24 00 hommes, une armée plus importante que les forces militaire de nombreux pays d’Amérique latine. […] L’inhumanité des nouveaux projets d’urbanisme, […] partout règne le crime, certains quartiers de la ville sont de véritables jungles. […] Aujourd’hui quand un dirigeant arrive dans son bureau, si on lui dit que le gouverneur ou Vito Genovese ont téléphoné durant son absence, le premier qu’il rappellera ce sera Genovese […] » !

Fleming estime que l’Amérique souffre de « quatre malaises essentiels » : la dispersion de la cellule familiale, un régime qui accorde une considérable puissance économique aux femmes, la façon dont les habitants sont hypnotisés par le fameux mode de vie à l’américaine, et la fuite devant la réalité.

007 à New York

007 in NY

Cette partie consacrée à New York de Thrilling Cities, très critique et risquant de déplaire aux lecteurs des USA, l’éditeur américain du livre demande à Fleming s’il peut fournir de quoi les consoler. Pour compenser ce déplaisir potentiel, Fleming décide alors d’écrire une courte nouvelle. Celle-ci fut d’abord publiée dans le New York Herald Tribune en octobre 1963 sous le titre de Agent 007 in New York (le titre que Fleming avait originellement prévu était Reflections in a Carey Cadillac) avant de se retrouver dans la version américaine de Thrilling Cities sous son titre définitif : 007 in New York. Depuis cette nouvelle a été incluse dans diverses éditions de Thrilling Cities (et même Octopussy and The Living Daylights), mais pas toutes… À l’exception du Archives 007 n° 4 du Club James Bond France qui l’avait traduite, cette nouvelle reste malheureusement inédite des éditions françaises des livres de Fleming.

L’intrigue de la nouvelle est très reminiscente de Thrilling Cities : envoyé à New York pour prévenir une ancienne espionne anglaise que son colocataire est un agent du KGB, James Bond est amené à songer aux hôtels, restaurants, bars de la ville ainsi qu’à la vie et à la mentalité des New Yorkais. 007 doit prendre contact avec elle à l’extérieur de la serre aux reptiles du zoo de Central Park. Nous sommes ici plus dans un monologue interne avec Bond, une critique de la ville à travers ses yeux, que dans une aventure pleine de rebondissements.

La nouvelle commence par 007 qui arrive à l’aéroport de New York. L’estomac retourné par la version BOAC du « petit déjeuner campagnard anglais », il passe d’interminables minutes au service d’immigration et dans les files surchargées de la « jungle douanière » où souvent deux gifles sont données à des gosses agités. Bond se fait ensuite conduire en Cadillac Carey à l’hôtel Astor. « Ses autres quartiers favoris avaient disparu… Washington Square, Battery, Harlem, où il vous fallait maintenant un passeport et deux gardes du corps. […] Les hôtels, eux aussi avaient disparu […] ascenseurs grinçants, chambres emplies de l’air du mois dernier ». Le lecteur apprend aussi que Bond avait autrefois un petit pied-à-terre à New York.

Bond profite de son temps libre pour faire quelques courses, mais « très brèves car maintenant il n’y avait plus grande chose à acheter dans ces magasins » et passe chez Scribner’s « parce que c’était la dernière grande librairie de New York », et réserve sa soirée avec une certaine Solange (une fille avec qui il couche lorsqu’il est en ville). Vient le moment du déjeuner et plus particulièrement quel restaurant choisir ? Le 21 ? Non, « l’aristocratie financière avait aussi conquis cette forteresse ». Ce sera la Salle Edwardienne de l’hôtel Plaza où il commandera du saumon fumé et des oeufs brouillés à la James Bond. Oui, Bond détaillera la recette au serveur et la Fleming donne carrément la recette complète aux lecteurs !
« […] 140 à 170 grammes de beurre frais […] Casser les oeufs dans un saladier. Les battre vigoureusement avec une fourchette et bien les assaisonner […] ». (Roger Moore et sa quiche lorraine n’ont qu’à bien se tenir) !

Après plusieurs autres pensées sur la nourriture telle que « tout parfum avait dorénavant disparu de la nourriture américaine » car « tout est congelé si longtemps », viennent des perspectives pour occuper sa soirée avec Solange telles qu’aller faire l’expérience d’un « film érotique, sonores et en couleur » ou se rendre dans un bar sadomasochiste dont lui avait parlé Felix Leiter, « la tenue de rigueur était veste de cuir noir et gants de cuir. […] Comme les repaires de travestis de Paris et de Berlin, ce serait drôle d’aller y jeter un coup d’œil ».

La nouvelle se finit avec humour et en catastrophe pour la mission de Bond qui se voit alors obligé d’appeler en urgence le Q.G. de Londres : « On peut difficilement en blâmer quelqu’un, mais il n’y a pas de serre à reptiles au zoo de Central Park » !

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« Et voilà, j’avais circulé autour du monde pendant trente jours et tout ce que je rapportais de ce voyage, c’était une certaine quantité d’impressions […] assaisonnées parfois de commentaires superficiels, parfois impertinents. […] C’était une source de découragement constant, que de constater combien, peu l’influence anglaise avait subsisté dans cette vaste moitié du monde […] ». Ces articles (plus ou moins censurés) sont parus dans le Sunday Times du 24 janvier 1960 au 28 février (puis dans dans certains autres magazines).

Alors voilà ce qu’est la première partie de Thrilling Cities. Difficile de voir comment adapter un tel livre de récits qui peuvent parfois choquer les plus sensibles en une série télévisée… Surtout que le grand problème c’est que les villes décrites dans le livre ne sont plus comme aujourd’hui (notamment quand vous voyez Fleming payer seulement 15$ pour une suite dans un hôtel cinq étoiles aux États-Unis ou régler en nouveaux francs). Peut-être que la solution est de faire une série sur ces villes en 2016 (puisque les récréer dans leurs versions 1959 serait probablement très compliqué et couteux) ? Mais dans ce cas, ce ne serait plus du « Ian Fleming » et au final, c’est bien ce qui fait l’intérêt de ce livre dans lequel on en apprend beaucoup sur l’auteur ! Affaire à suivre donc si elle se concrétise… Tient, d’ailleurs saviez-vous que Thrilling Cities est indirectement à la l’origine de la série Des agents très spéciaux (The Man from U.N.C.L.E.) ?

La semaine prochaine…
Épisode 2 : Hambourg, Berlin, Vienne, Genève, Naples et Monte-Carlo.

Clement Feutry

Fan passionné de l'univers littéraire, cinématographique et vidéoludique de notre agent secret préféré, Clément a traduit intégralement en français le roman The Killing Zone et vous amène vers d'autres aventures méconnues de James Bond...

Commenter

  • J’hésite à le signaler mais – comme la plupart de vos articles hélas – l’analyse manque de précision .
    Tout d’abord la version Française éditée chez Plon ne comporte que … La moitié de l’ouvrage original de Fleming . Il faut se rabattre sur une édition Anglaise pour y voir figurer la totalité des endroits visités par Fleming . En effet , devant le succès remporté par le premier carnet de voyage , son éditeur renvoie Fleming effectuer un nouveau tour d’ Europe illico presto …
    – Deuxio , ce bouquin est indirectement à l’origine de la création de la série TV ‘ Des Agents très Spéciaux ‘ . Je vous laisse le soin de retrouver comment et pourquoi …
    – Troisio , BBC4 en propose déja actuellement une adaptation fort réussie , où chaque chapitre du bouquin donne lieu à un travelogue sur l’endroit visité .
    Mais , cela , aucun site de fans ne le mentionne et c’est donc complètement passé sous silence .
     » Sloppy work , 007 … « 

    • La partie 2 de l’article arrive cette semaine avec les autres destinations visitées par Fleming (voir conclu de l’article).
      L’adaptation de BBC4, c’est une adaptation audio, non ?

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