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[Édito] Ce que je n'ai pas aimé dans Trigger Mortis

Il semblerait que tout le monde ait adoré Déclic Mortel (Trigger Mortis), sauf moi ! Malgré toutes les critiques positives qui annonçaient un très grand cru, voir carrément le meilleur roman depuis Fleming (!), je garde un arrière goût amer de ce livre. Lorsque l’on s’attend à tomber sur quelque chose frôlant la perfection et qu’une fois le livre en main on remarque de gros défauts, on est déçu. Alors aujourd’hui je vous propose d’aller à contre-courant de ces critiques et voir ce qui cloche dans le roman d’Horowitz, et ce qui aurait plus être amélioré. Je ne m’attarderai pas sur les points positifs, mes collègues l’on déjà fait ici, et je ne chercherai pas la petite bête. Pour cet édito, tous les points que nous allons évoquer sont les pénibles défauts qui me reviennent de ma première lecture et qui, après un an, restent toujours dans ma tête comme particulièrement dérangeants.

1. Tease and denial

Dans Déclic Mortel, Bond doit contrer le SMERSH en courant dans une Maserati sur le circuit qui porte l’imprononçable nom de Nürburgring. Pour se faire, Bond s’entraîne avec Logan Fairfax qui ne manque pas de lui rappeler que ce circuit est très dangereux. Je pense que l’on peut affirmer sans se tromper que l’auteur insiste beaucoup sur le fait que ce ne sera pas facile pour Bond… Et alors que les lecteurs ont hâte de voir comment Bond va se débrouiller au volant sur le circuit, le récit bouge en Allemagne où Bond embarque sur le siège passager du pilote Lancy Smith qui lui présente le circuit :

Douze minutes et un tour plus tard, Bond entrevoyait le défi qui l’attendait. Le Nürburgring était un monstre impitoyable du début à la fin. […] C’était une lutte interminable qui mettrait à l’épreuve chaque fibre de son être – physique, mental, et jusqu’au tréfonds de l’âme – par une succession de défis terrifiants qui exigeait une réaction appropriée en quelques fractions de seconde. […] etc…

Avouez que vous n’avez qu’une envie : de voir Bond effectuer son premier tour du circuit, n’est-ce pas ? Hey bien… non, ce ne sera pas le cas. Malgré tout le teasing que l’auteur à fait, il n’en sera rien. Tout ce que vous saurez de la toute première expérience de conduite de 007 sur le Nürburgring est :

Bond attendit que la Maserati fut prête. […] Bernardo et un autre mécanicien le poussèrent et tout à coup, il n’y eut plus que lui et la Maserati, plongeant dans l’enfer vert.

*

À la fin de la journée, Bond […] tenta dévaluer ses chances. Le Nürburgring était aussi redoutable qu’on lui avait dit.

Sérieusement, vous ne vous sentez pas complètement volé ? Toute cette excitation sur plusieurs chapitres pour cela ? Trois lignes ? L’auteur résume ce moment clef de la mission de 007 en seulement trois putains de ligne ! Bien entendu, l’auteur décrira plus tard les sensations que Bond éprouvera sur le circuit durant la course, mais celles de ce tout premier tour d’entraînement ne seront guère plus détaillées que « le Nürburgring était aussi redoutable qu’on lui avait dit ».

Et arrivé à la course automobile, le lecteur est également déçu car celle-ci ne dure pas assez longtemps ! En fait, Bond ne fera même pas deux tours complets du circuit durant la course (et on ne peut pas dire que l’auteur a pris de temps de décrire tout ce que ressentait Bond aux différents obstacles – le tout tient en seul chapitre) ! C’était pourtant censé être le highlight du roman et on remarque que la seule difficulté que présente la course à Bond tient seulement à la complexité du circuit et non aussi à la fatigue qui aurait plus s’installer au bout d’un nombre x (plus grand que deux) de tours.

Mais plus tôt dans le roman, il y a un autre moment ou l’auteur t’allume sur quelque chose pour finalement bien te recaler. Lorsqu’elle dîne avec Bond, Logan lui demande : « Où avez eu cette cicatrice ? ». Bonne question, Bond lui dit qu’il va lui répondre si elle sait y mettre de l’insistance. À ce moment-là le lecteur attend impatiemment la réponse : Horowitz va-t-il reprendre l’explication de Pearson sur l’origine de la cicatrice ? Celle de Higson ? Ou va-t-il créer sa propre explication ?

Que dalle, tout ce qu’il va te dire à la ligne suivante c’est : « La suite du dîner se déroula agréablement et, lorsqu’ils regagnèrent la voiture, leurs épaules se frôlaient ». L’auteur vient littéralement d’agiter un billet de 500 € devant ton nez pour le ranger la seconde d’après bien au chaud dans sa poche, ne t’offrant en contrepartie que de la déception.

Une autre ellipse stupide : lorsque 007 est en mauvaise posture dans un motel aux USA, Jeopardy Lane le sauve en le faisant monter dans sa voiture. Ok, mais le problème ici c’est qu’une fois monté dans la voiture, il y a une ellipse dans le récit et nous retrouvons Bond qui lui pose plus tard une question dans un restaurant : « Qui êtes-vous et quel est votre rôle dans cette histoire ? ». Mais… mais pourquoi ils n’ont pas eu ce genre de conversation avant, dans la voiture ? Pourquoi Bond aurait attendu si longtemps pour poser cette question qui est pourtant essentielle et est la première qui vient à l’esprit ? Le diable se cache dans les détails de ce genre.

En revanche, il y a des scènes qui auraient mérité des réductions comme lorsque l’auteur essaye de nous mettre un gros suspens sur ce qui se trouve dans le hangar de Sin alors que l’on sait tous ce qu’il s’agit – évidemment – d’une fusée. Donc quand la « révélation » arrive, elle tombe à l’eau et ce manque de surprise déçoit… C’est comme à la fin après le déraillement du train, Sin n’est pas vraiment mort et se relève, mais ça tombe à plat car on l’avait vu venir à des kilomètres (tout ça pour finalement le faire tuer quelques lignes plus tard de la même manière que le méchant de Death is Forever).

Par ailleurs, le coup des trous dans les portraits du château est vraiment flippant, mais on aurait avoir savoir pourquoi Sin a fait cesdits trous. Dans l’état actuel ça sert juste à dire : « vous avez vu, ce personnage est vraiment méchant ».

L’avis de Gregory :

Maintenant que l’on me le dit, c’est vrai que ces ellipses pourraient être vraiment irritantes. Mais en fait cela ne m’a pas vraiment dérangé durant la lecture. C’est une crasse d’auteur qui oblige le lecteur à poursuivre sa lecture parce qu’il espère voir se réaliser ce qu’on lui annonce. Si je trouve ça extrêmement ennuyeux dans les séries ou les films (sauf s’il y a un sacré bon twist, mais c’est rare), dans les romans ça ne me dérange pas. C’est au lecteur de se fabriquer sa propre vision.

L’avis de Ytterbium :

L’absence du premier tour d’essai de la piste ne m’a pas gêné. Il y a déjà eu de nombreux entraînements dans le livre, et ce premier tour est juste là pour nous mettre en appétit avant la grande course. On se réserve pour la course que j’ai trouvé peut-être courte, mais vraiment géniale, intense et parfaitement réussie ! J’avais oublié la mention de la cicatrice, j’imagine que cela ne m’avait pas dérangé sur le moment.

2. Bond, arrête d’être con

Le pire moment de Déclic Mortel se situe probablement après que Bond et Jeopardy se soient enfuis du château de Sin. Pendant tout le chapitre qui suit où ils sont dans l’hôtel j’ai eu continuellement les mêmes pensées : « s’il te plaît Anthony, n’écrit pas que Bond laisse ces foutus documents importants sans surveillance devant cette fille qu’il ne connaît point et qui va probablement lui voler. C’est du vu, vu, revu et corrigé, et ce ne serait vraiment pas terrible de tomber dans ce cliché. Bond n’est pas aussi aussi con, ni un débutant et toi Anthony tu vaux mieux que cela. Non ? ». Et devinez quoi ? L’auteur a vraiment osé écrire une scène aussi prévisible ! Comment torpiller son roman en une scène…

L’avis de Gregory :

Ce passage-là m’avait vraiment énervé et encore plus à la relecture (vous savez, le truc con où l’on se dit qu’il ne fera pas deux fois la même erreur… mais que l’on oublie que c’est un livre et que du coup rien ne change entre les deux lectures).

L’avis de Ytterbium :

Bond est un increvable romantique. Il vient de sauver la princesse du château, littéralement. Moi aussi je me serais fait avoir. C’est pour ça que j’aime Bond. Il a beau être cynique, il y a des fois où il est totalement naïf et s’en prend plein la gueule, et il redouble de cynisme après tellement il l’a mauvaise (c’est ce que j’appelle l’effet Casino Royale).

3. Sex Bond, sex Bond, you are not my sex bomb

Quand vous entendez dans des documentaires des célébrités parler des romans de James Bond, l’une des choses qu’elles disent souvent avoir aimé c’est le sexe. On se souvient notamment d’Alice Cooper qui avait dit qu’il « y avait beaucoup de sexe dans ces livres ». En réalité, il n’y a jamais vraiment eu de sexe dans les romans de Bond à mon sens (bien qu’ils soient étrangement connus pour cela), ce genre de scène a toujours été assez soft pour les standards de notre époque et ce n’est pas avec Déclic Mortel que les choses ont changé !

Ce point-là peut être, ou non, considéré comme un défaut selon vos goûts. En ce qui me concerne : serait-ce trop demandé d’avoir des scènes de sexe de plus de quinze lignes (et encore, c’est écrit gros) dans les romans de James Bond ? Et qu’elles soient un peu plus relevées, érotiques, osées et ainsi plus adaptées à notre époque ? Il y a à mon sens un réel travail à faire de ce côté-là dans les livres James Bond… Après tout le sexe est censé être l’une des marques de fabrique de ces écrits. Toutefois est-ce une bonne idée dans la mesure où l’on s’éloignerait le temps d’une scène du vrai style Fleming (et non celui que les gens ont en tête – avouez que vous avez été étonné de voir le sexe n’était pas aussi appuyé que vous le pensiez la première fois que vous avez lu des Bond) ?

Et en parlant de politiquement correcte, pourquoi ces considérations viennent-elles s’immiscer dans le roman. Pourquoi la Bond girl doit être forte et compétente (ce qui au fond la rend inintéressante). Pourquoi le Bond de Fleming qui pense que les Coréens sont « plutôt inférieurs aux singes dans la hiérarchie des mammifères » dans Goldfinger ne se permet aucune remarque raciste envers Sin ? Pourquoi ce même Bond qui pense que les homosexuels sont des « troupeaux d’inadaptés sexuels malheureux, stériles et pleins de frustrations » ne se permet pas quelques remarques homophobes dans Trigger Mortis qui contient tout de même trois personnages homosexuels/bi ? Pourquoi l’un d’eux est un ami de Bond qui déclarait pourtant dans Goldfinger « n’avoir pas de temps pour eux » ?

Alors oui, ce serait politiquement incorrect, mais ce serait totalement correct avec le personnage imaginé par Fleming (en plus d’être surprenant car inattendu à notre époque) et aurait renforcé l’impression que le roman se déroule dans les années 50/60.

L’avis de Gregory :

Voici un point sur lequel j’émettrais une forte objection. L’érotisme des romans de Fleming réside parfois tout simplement dans la description de ses personnages féminins qui fait appel à notre imagination, des phrases évocatrices du style : « Une brise effleura son chemisier, laissant apparaître le contour de ses seins orgueilleux. Elle surprit le regard de l’espion britannique et vint se blottir contre lui. Bond sentait les tétons de la belle négresse pressés contre son torse… ». Bon, ça ressemble à du cheap porn qu’on pourrait vendre à la ménagère à l’aéroport, mais le concept est là. Il ne dit pas grand-chose, c’est la description d’une partie de l’anatomie qui donne cette touche « érotique ». Pas besoin d’avoir 50 nuances de Grey ou une scène graphique.
Cependant, l’un des éléments qui m’avaient énervé dans Trigger Mortis, c’est que Bond est relativement lisse : il n’y a pas une remarque déplacée où il porte un jugement de valeur sur Sin. Rien. Zéro. Je ne veux sûrement pas revenir à des descriptions comme dans Vivre et Laisser Mourir où le racisme est vraiment poussé loin, mais quelques piques à certains personnages ne m’aurait pas déplu.

L’avis de Ytterbium :

Je partage l’avis de Greg ! Sur l’absence de remarques homophobes, je trouve ça bien amenée : Bond voit directement deux de ses girls (une avec qui il est en couple, une autre sur qui il a des vues), le quitter pour se mettre ensemble, le laissant tout seul et bien embêté. Ajouter des remarques homophobes à ce moment n’aurait pas fait « écriture d’époque », mais aurait juste fait passé Bond pour un gros con. Ce passage l’oblige à se remettre en question et dépasser ses préjugés. Ce ne sont peut être pas les « dérèglements hormonales » de ses partenaires féminins, mais bien le fait qu’il n’a rien à leur offrir, comme c’est amené progressivement dans les précédents chapitres.

4. El famoso notes de Ian Fleming

Voici un problème qui ne touche pas le roman d’Horowitz en soi, mais le livre. Cela ne vous aura pas échappé, la couverture indique « with original material by Ian Fleming » : c’est d’ailleurs l’un des arguments commerciaux principaux. Le truc c’est que comment je sais si tel ou tel passage du livre a été imaginé par Ian Fleming ou par Anthony Horowitz ? Je ne peux pas vraiment le savoir. En fait, on aurait vraiment aimé que le livre contienne une postface bien étoffée dans laquelle il aurait été expliqué au lecteur comment Fleming est venu à écrire Murder on Wheels suivit d’un vrai résumé détaillé du script de cet épisode TV, voir même des scans du script complet (dans la mesure où il fait moins de 10 pages !). Cela ne semblait pas de trop demandé (et il y en a bien une postface de ce genre, mais elle est beaucoup trop légère) et je me sens volé par une telle « absence » alors que la couverture ne se gêne pas pour faire la promo du livre autour de Murder on Wheels. (Pire encore, les couvertures françaises utilisent le mot « notes » au lieu de « material »). Pourquoi seule une édition spéciale du roman possède le script complet au lieu que ce soit quelque-chose de standard ?

L’avis de Gregory (et de Ytterbium) :

Je confirme qu’il s’agit d’un puta*n de truc marketing minable. En voyant le livre, mon premier réflexe a été de le feuilleter, m’attendant à tomber sur des pages scannées de notes de Fleming avec des annotations et autres superbes pépites qui plairaient aux fans. Mais non, la traduction en « notes » n’aide pas, les quelques mots sur la provenance de meurtre sur roulettes (oui, je trouve ça plus accrocheur que sur roues) étaient assez pauvres. Dommage…

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Alors oui, Trigger Mortis a des qualités indéniables, mais il traîne aussi son lot de boulets. Et lorsque l’on s’attend à tomber sur un roman 5 sur 5 tant vanté par les critiques qui ne sont pas attardées sur les défauts, on tombe de haut ! Et c’est peut-être de là que me vient ma plus grosse déception. Peut-être que l’engouement envers Trigger Mortis vient aussi du fait qu’il arrive après plusieurs romans décevants qui avaient fait que les fans ne pensaient plus que l’on reverrait un jour un roman « convenable » ? Quoi qu’il en soit, n’hésitez à nous dire si vous avez été aussi dérangé par les quatre points évoqués dans l’article.

Dire que le roman est parfait ou le meilleur serait un peu fort de café pour moi, comme pour Skyfall (qui traîne quant à lui de sacrées aberrations dans son scénario). Toutefois je peux comprendre que l’on ait aimé ce roman, après tout les goûts sont dans la nature comme on l’a revu récemment avec Heads You Die que j’ai adoré tandis que le critique du Club James Bond France a détesté. Espérons que Horowitz évitera de retomber dans les mêmes erreurs pour son second Bond et qu’il nous livrera roman un 5 étoiles sur 5… avec une postface digne de ce nom ! (Et pour avoir entre temps lu Stormbreaker que j’ai trouvé vraiment mauvais, j’ai peur…).

Clement Feutry

Fan passionné de l'univers littéraire, cinématographique et vidéoludique de notre agent secret préféré, Clément a traduit intégralement en français le roman The Killing Zone et vous amène vers d'autres aventures méconnues de James Bond...

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  • Ces points ne m’ont absolument pas dérangés. Je trouve que ça relève pus de l’ellipse que de la négligence. Il faut faire des sacrifices pour garder un rythme soutenu, une unité d’action et de lieu. Que ce soit un film, une série ou un livre, je peux ne pas le voir tant que c’est bien écrit et que l’on tourne les pages sans se poser de questions, ce qui a été mon cas !

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