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IAN FLEMING ET SON ART D'ÉCRIRE : Pour ne pas conclure

Que faut-il retenir de l’œuvre de Ian Fleming ? Jacque Layani revient sur les moments essentiels de la série de livre qui a fait naître James Bond. Dernier épisode d’une chronique à ne pas manquer !

Si les livres de Ian Fleming sont chroniqués, détaillés et amplement couverts chez nos voisins anglais, la France est assez pauvre en auteurs qui se sont penchés sur le phénomène littéraire qu’est James Bond. Heureusement, il y a quelques auteurs francophones tels Jacques Layani, qui ont accordé à l’auteur britannique toute l’attention qu’il méritait. Cela s’est traduit en 2008 par la publication de l’excellent ouvrage Ian Fleming : On ne lit que deux fois (disponible sur amazon en version papier et en ebook). À l’occasion du 60e anniversaire de la publication de Casino Royale, Jacques Layani a accepté de partager avec nous, une chronique sur Ian Fleming et son art d’écrire.

Pendant 007 articles (comme le veut le matricule du site), il va nous faire découvrir tous les secrets de construction des romans de Fleming, la mise en scène du Bond littéraire, ce qui fait de ce héros un personnage si original, ainsi que toutes les façons si particulières dont l’écrivain dispose pour créer ce monde fantasmé de l’espionnage.

Conclusion
L’examen attentif des quatorze volumes originaux permet de les considérer comme une œuvre à part entière, avec sa structure, son architecture et son originalité. En nombre de titres, l’auteur ayant disparu prématurément, cette œuvre n’est pas considérable. Cette bibliographie restreinte, même si le tirage global des livres fut très conséquent, joue en faveur de l’oubli : rien ne vaut en effet d’occuper la place par des références innombrables si l’on désire durer, à tout le moins demeurer dans le souvenir du public, même si celui-ci n’a jamais ouvert un seul livre. D’autres auteurs de romans d’espionnage ne se sont pas privés d’inonder les librairies de leur production sans intérêt. À l’opposé, quatorze ouvrages seulement, c’est l’assurance, à condition que le style soit bon, naturellement, de ne pas lasser, de ne pas tomber dans les redites, le propos systématique, la caricature.

Finalement, on observe que Fleming a tout de même donné un livre par an, y compris durant la période où sa santé lui causait beaucoup d’inquiétude. Son univers s’affirme davantage à chaque parution nouvelle, sa manière se cristallise. À aucun moment il ne s’enferme dans des habitudes, ses tentatives de renouvellement permanent étant toujours réussies. La construction pierre à pierre de cet édifice trop tôt interrompu se fait à un rythme extrêmement régulier, confortant sa pérennité par l’assurance de sa qualité. Si l’on part du principe qu’un créateur connaît forcément un moment où la source se tarit (tout homme a un certain nombre de choses à dire, pas davantage), on peut se demander à quel moment Fleming aurait fini par atteindre ce point de non-retour. Le côté artisanal de son travail n’aurait en aucun cas pu souffrir de redites ou du fait d’exploiter un système. La brièveté de l’œuvre est garante de son authenticité.

De quoi disposons-nous ? Dans l’ordre de parution, de sept romans suivis d’un recueil de nouvelles, de cinq romans encore et, enfin, d’un recueil de nouvelles. Le dernier roman, posthume, n’a pu être revu par Fleming, mais au moins l’auteur l’a-t-il achevé. Le dernier ensemble de nouvelles ne relève pas directement de la volonté de l’auteur, qui n’a pas eu le temps de bâtir le livre selon son idée.

À partir d’Opération Tonnerre, comme on l’a vu, le propos prend de l’ampleur et les ouvrages s’enchaînent. Fleming, désormais, se moque toujours davantage de la vraisemblance ou, plus exactement, fait admettre l’extravagance avec un talent considérable. On ne vit que deux fois est ironiquement le dernier tome que le romancier voit paraître. L’Homme au pistolet d’or et Meilleurs vœux de la Jamaïque seront quant à eux posthumes. On ne sait ce que l’auteur aurait pu encore imaginer. La profusion considérable d’événements et d’épisodes, d’Opération Tonnerre à L’Homme au pistolet d’or, fait moins de cas de l’intimisme relevé dans les opus précédents.

L’ensemble des histoires est particulièrement varié. D’un livre à l’autre, aucune structure n’est identique. L’auteur prend des risques : il ne remplit pas un cahier des charges, créant au contraire des livres originaux. S’il ne s’agit pas précisément de chefs-d’œuvre littéraires, ces ouvrages sont des romans d’action rédigés avec sérieux, présentant des aspects humains intéressants et des parties documentaires extrêmement développées.

On a vu, pour exemple de cette imagination, l’étonnante façon d’éliminer un adversaire au nom extraordinaire (Le Chiffre) en le ruinant à une table de jeu tout en détaillant la partie et en donnant au lecteur un cours de baccara (Casino Royale). On choisira encore l’époustouflante konspiratsia conçue et expliquée diaboliquement dans les dix premiers chapitres de Bons Baisers de Russie. On relèvera également la trouvaille du bureau ambulant de Draco, qui nous est présenté lorsque Bond le rencontre pour la première fois. Le chef de l’Union corse a ses « services » dans un semi-remorque. À l’intérieur du camion, un couloir aux portes latérales, un bureau avec bar et téléphone. En s’appuyant davantage encore sur cet exemple, on mesure le talent de Fleming. Un agent secret rencontre enfin un des plus grands criminels du monde. Ce dernier lui sert un alcool, lui raconte sa vie et lui demande d’épouser sa fille. Pour finir, par un simple appel téléphonique à destination d’Ajaccio, il parvient instantanément à savoir dans quel pays se trouve Blofeld, que les services britanniques recherchent en vain (Au service secret de Sa Majesté). Tout cela est vraiment de l’ordre du féerique, l’originalité profonde de l’auteur, son apport le plus personnel à la littérature d’action étant d’avoir ainsi mêlé les registres et fait accepter par le public cette audace ahurissante.

Pour résumer, on peut dire que Fleming a résolu le problème le plus ardu du roman d’espionnage par une pirouette : la vraisemblance n’existe pas. L’auteur ne s’en soucie aucunement. Encore faut-il avoir simultanément construit son univers et su y préparer une place pour le lecteur. Sinon, le principe d’indifférence ne saurait agir.

Quand Fleming a-t-il donc basculé ? En d’autres termes, quand a-t-il élevé au rang de classique son œuvre brève, lui que les éditeurs américains et français ont commencé par caviarder, tronquer, et dont ils ont changé les titres ? La notoriété, la gloire, la fortune elle-même n’ouvrent pas nécessairement la voie au classicisme, c’est-à-dire à l’intemporalité. Y a-t-il eu un moment précis ou bien cette installation dans la durée s’est-elle faite avec lenteur ? Il n’est pas de réponse à ces questions.

Les protestations, comme c’était prévisible, se sont tues. Fleming ne fait plus sursauter personne. Son personnage est connu dans le monde entier et n’en finit pas de vivre et de représenter une référence. Tout écrivain rêve, sans le dire, de créer une image universelle, un personnage mythique comme Gavroche ou Don Quichotte. Fleming l’a fait à son niveau. Sa créature imaginaire lui survit dans la mémoire et le temps ; elle devient un critère. C’est certainement bien davantage que l’écrivain n’espérait en 1952, lorsqu’il dactylographiait l’évocation sensible de l’odeur d’un casino vers trois heures du matin.

Fle2

L’équipe de Commander James bond.net tient à remercier chaleureusement Jacques Layani pour cette excellente chronique qui nous accompagne depuis le 60e anniversaire de la parution de Casino Royale. Nous espérons inviter d’autres auteurs de sa qualité à venir partager leurs analyses bondiennes sur ce blog. D’ici là, n’hésitez pas à redécouvrir les épisodes de cette chroniques que vous auriez raté, ou à prolonger l’étude du monde de Fleming dans le livre de l’auteur On ne lit que deux fois.

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Jacques Layani

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