Casino Royale est le seul roman de James Bond à avoir eu le droit à trois « adaptations cinématographiques ». Vous connaissez sans doute le film de 2006 avec Daniel Craig, probablement le téléfilm de 1954, et peut-être avez-vous déjà eu le malheur de regarder la parodie de 1967. Mais saviez-vous qu’un autre Casino Royale aurait plus voir le jour dans les années 60 ?
Il y a un an, le journaliste et romancier Jeremy Duns sortait un ouvrage intitulé Rogue Royale: The Lost Bond Film by the ‘Shakespeare of Hollywood’ (depuis, son contenu est gratuitement disponible à cette adresse). Il s’agit là d’une véritable pépite puisque ce livre nous livre absolument toutes les informations connues sur les Casino Royale écrits par le scénariste Ben Hecht.
Retour en 1954 : Ian Fleming a vendu certains des droits sur son premier roman à CBS qui en a fait un téléfilm. L’année suivante, le producteur / réalisateur Gregory Ratoff (qui avait déjà acheté un contrat d’option sur l’adaptation du roman une semaine avant CBS) achète tous les droits nécessaires pour en faire une adaptation cinématographique.
En 1956, le New York Times rapporte que Ratoff a formé une compagnie de production indépendante et que celle-ci travaille sur deux projets, dont un certain Casino Royale. L’article mentionne également que le film serait tourné (en couleurs) dans l’année, en Angleterre, Espagne, Italie (San Remo) et au Portugal (Estoril). La 20th Century Fox serait également de la partie.
Les années passent mais le film ne voit toujours pas le jour. Cependant, en 1960, le Times annonce que la 20th Century Fox travaille sur le film et lâche les noms de deux acteurs qui seraient rattachés au projet : Robert Morley et Peter Finch. (Je vous laisse imaginer la réaction de Kevin McClory qui s’affairait à cette époque à créer le premier film de 007 avec Fleming…)
Alors que Casino Royale semble être sur les rails, Gregory Ratoff décède le 14 décembre 1960. Sa veuve vend les droits à son ancien agent, Charles K. Feldman (qui avait déjà acheté 50% des droits à Ratoff plus tôt), et en 1962 celui-ci aborde Howard Hawks pour qu’il réalise le film. Si Hawks parait intéressé au début, il ne tarde pas à quitter le projet. Feldman n’abandonne pas et demande à Ben Hecht d’écrire un script.
Hecht était un scénariste hollywoodien célèbre qui avait écrit de nombreux films et qui avait été nominé plusieurs fois pour les Oscars. On lui doit notamment les scripts de Les Nuits de Chicago ou de l’excellentissime Scarface de 1932. En réalité, Hecht était déjà intervenu auparavant sur un script de Casino Royale pour Ratoff, à la demande de Feldman.
Dans cet article, nous allons uniquement nous intéresser au contenu des scripts de Ben Hecht, et ce de manière brève. Pour les personnes qui voudraient aller plus loin, je ne peux que vous recommander l’ouvrage de Jeremy Duns (il coûte vraiment une misère). Je serai cependant plus enclin à vous diriger vers le livre Duns On Bond: An Omnibus of Journalism on Ian Fleming and James Bond qui est un recueil de deux ouvrages de l’auteur (Rogue Royale et Diamonds In The Rough). En plus de contenir l’histoire des Casino Royale « perdus » (de Hecht, celui de Tarantino n’est pas traité), ce livre propose aussi six autres articles qui pourraient vous intéresser :
* Gold dust : l’histoire du roman perdu Per Fine Ounce.
* Uncut gem : l’auteur s’intéresse au récit Les contrebandiers du diamant (The Diamonds smugglers) de Ian Fleming et plus particulièrement à son adaptation cinématographique qui a été avortée.
* Commando Bond : les liens entre le personnage de James Bond et les forces spéciales.
* Black tie spy : un parallèle entre le pré-générique de Goldfinger et une opération réelle de la Seconde Guerre mondiale.
* Smersh vs Smersh : une comparaison entre le véritable SMERSH et celui-ci des romans de Fleming.
* Bourne Yesterday : les similitudes que la fin du roman On ne vit que deux fois partage avec d’autres thrillers et romans d’espionnage.
Plongeons nous donc dans l’univers des Casino Royale de Ben Hecht !
Les scripts
Avant de s’attaquer au vif du sujet, remémorons nous le synopsis du roman : Le Chiffre, un agent soviétique, investit en douce l’argent que ses employeurs lui ont confié dans une chaines de bordels français. Il espère ainsi faire fructifier les fonds, mais manque de chance pour lui, la loi Marthe Richard est votée environ trois mois plus tard. Celle-ci a pour but de faire fermer les maisons closes et de renforcer la lutte contre le proxénétisme, ce qui réduit à néant la valeur des investissements du Chiffre. De peur que le SMERSH lui règle son compte, Le Chiffre se rend au casino de Royale-les-Eaux pour essayer de récupérer de l’argent lors d’une grosse partie de baccarat. James Bond a pour mission de le battre à la table de jeux…
Pendant ses investigations, Duns est tombé sur cinq scripts (non-datés ou de 1964) des Casino Royale écrits par Hecht. Un sixième script a été trouvé, mais datant probablement de la période Gregory Ratoff (1957). Ce dernier est une adaptation fidèle de roman, au détail près qu’il n’y a pas James Bond… Étrangement, notre héros a été remplacé par un certain Lucky Fortunato, un riche gangster américain qui possède une chaîne de casinos. Des pages de ce script peuvent être vue dans le documentaire Genèse du film présent en bonus dans certain DVD de Casino Royale (2006). À une autre époque, Ratoff avait également eu l’idée d’engager une femme pour jouer le rôle de 007.
Lorsque Ben Hecht a été commissionné pour écrire le film, il fut vite confronté à un problème : la longueur du roman. Vue que celui-ci était assez court, il a décidé d’écrire un premier acte qui serait un prologue : M demande à Bond de retrouver Gloria Dunn, la fille disparu d’un scientifique nucléaire important pour l’Angleterre. Le méchant principal n’est ni le SMERSH, ni Le Chiffre, mais « Numéro 1 », le chef d’une organisation criminelle internationale nommée « Specter ». Ce dernier a bâti un vaste empire basé sur le commerce de la drogue et du sexe grâce à de l’argent des services secrets soviétiques. Il a pour plan de s’enrichir en extorquant des gens importants. Ainsi Gloria a été kidnappée et droguée pour forcer son père à travailler avec eux (de peur qu’ils ne la mette sur un trottoir). L’action se déplace à Bagdad, Alger, Naples, et s’achève sur le raid d’un château allemand que Specter utilise comme bordel. Gloria et son père sont torturés et tués, et la véritable histoire du roman commence alors.
Pour les scénarios suivant, Hecht abandonne l’histoire de Gloria et le Numéro 1 est renommé en Colonel Chiffre. Les deux scripts qui suivent sont fidèles au roman tout en incorporant de nouveaux éléments et personnages. Il s’agit notamment d’une ancienne tenancière des maisons closes du Chiffre et d’une ancienne amante de 007 nommée Mila Brant ou Giovanna Scotti. Elle essaye de séduire Bond en l’attendant dans le lit de sa chambre (celle de 007, la première chose qu’il fait en la voyant ainsi, est de se déshabiller). Ils sont interrompus par le téléphone, Vesper dit qu’elle a été empoissonnée.
L’un de ces autres personnages est un homme de Chiffre, le Dr Mesker. Celui-ci a des pouvoirs (de style « surnaturels ») qui font qu’il peut lire dans les pensées, il signale ainsi au Chiffre les cartes qu’ont ses adversaires. Quand Leiter le remarque, Bond met au point un stratagème pour l’induire en erreur. Lorsque le Chiffre commence à perdre, il pense alors que Mesker l’a trahit et le fait exécuter.
Dans une autre scène, Le Chiffre est informé que Bond et Vesper sont sur la plage. Deux hommes de mains arrivent alors en ski nautique et attaquent le bateau de Bond. 007 les maitrise et saute à l’eau avant qu’une bombe explose. Il est plus tard récupéré par Mathis et les garde-côtes.
À la toute fin de l’un de ces deux scripts, James Bond revient à Londres après la mort de Vesper. M lui dit de prendre des vacances en Jamaïque, mais il répond qu’il préfère rester là au cas où on aurait besoin de lui pour une autre mission.
Un script de février 1964 reprend quelques idées des deux précédents avec quelques différences. Celui-ci s’ouvre sur une séquence de pré-générique où Felix Leiter arrête plusieurs diplomates des Nations Unies, ainsi que des prostituées qui les accompagnaient. La scène du briefing entre M et Bond rappelle celle de Casino Royale 1967 car 007 n’est pas le vrai Bond. Il s’agit là d’un agent américain à qui l’on attribue le nom de James Bond : M explique que plusieurs agents ont utilisé ce nom afin de perpétuer sa mémoire et semer le doute chez l’ennemi. Quoi qu’il en soit, M le briefe sur Specter et l’envoie à Hambourg pour rejoindre l’agent du MI6 Vesper Lynd, et enquêter avec elle sur l’un des bordel du Chiffre (Bond est alors réticent à l’idée d’être accompagné par une femme).
Hecht introduit de nouveaux personnages dont Lili Wing, une eurasienne bisexuelle qui travaille pour Le Chiffre, mais aussi une certaine Gita, la femme du Chiffre. Parmi les scènes ajoutées, on notera une poursuite en voiture dans les quartiers chauds de Hambourg.
Dans le premier acte d’un script datant d’avril 1964, Bond et Vesper découvrent des films compromettants sur des dirigeants politiques que le Chiffre collecte pour Specter. Ceux-ci sont transportés à un entrepôt de Hambourg par van. Vesper infiltre le bordel de Lili Wing comme l’une des escortes-girls, et Bond prétend être l’un de ses clients.
Après une course-poursuite à Hambourg, Lili Wing est capturée par les hommes du Chiffre et est jetée dans le broyeur d’un camion à ordures, tandis que Bond utilise la femme du Chiffre comme un bouclier humain. Les hommes de main tirent sur elle par erreur. Par la suite, Bond parvient à récupérer le van mais celui-ci fini par exploser après une course-poursuite dans les Alpes suisses. Les films étant dedans, Le Chiffre a donc perdu une grande partie des revenus que Specter lui avait confiés pour cette opération, il doit donc récupérer l’argent.
J. Bond est maintenant dans un casino de la Côte d’Azur où il attend Giovanna au volant de sa Bentley. Après avoir avoir gagné de l’argent aux jeux, il remonte dans sa chambre et tombe sur Vesper qui lui donne les instructions de M. Ils partent ensemble pour le Casino Royale où le Chiffre souhaite récupérer son argent durant une partie de baccarat. Sur la route, Vesper remarque une voiture qui les poursuit. Bond veut ralentir pour qu’elle saute de l’auto, mais elle préfère rester pour l’aider en se saisissant d’une arme ; ils arrivent finalement au casino.
À partir de là, le script est fidèle au roman. Le Dr Mesker est toujours là et la scène de torture a quelque-peu changé : le Chiffre est accompagné de son épouse qui est désormais sévèrement défigurée. La fin est également différente : au lieu de trouver une lettre de suicide auprès du corps sans vie de Vesper, Bond la trouve encore vivante, elle a cependant pris du cyanure et n’en a plus pour longtemps. Bond n’appelle pas M après la mort de la fille (donc pas de « la garce est morte ») mais il est consolé par un médecin ; il ne tarde cependant pas à le quitter pour rejoindre une autre fille…
Quelques extraits d’un script sont disponibles à cette adresse, en voici une traduction :
INTÉRIEUR – BUREAU DE M, CHEF DU SERVICE SECRET BRITANNIQUE
M est assis derrière un bureau plat. Un homme de 45 ans, un visage fort, perspicace. Notre héros entre…
– M : Bonjour, Monsieur Bond.
– Notre héros : Monsieur Bond ? (Souriant) Je savais qu’il y avait une erreur, M, que vous ne m’aviez pas demandé.
– M : Aucune erreur, James Bond.
– Notre héros : Un excellent nom. J’aimerais que cela soit digne de moi, monsieur.
– M : Je pense que vous l’êtes.
– Notre héros : Merci.
– M : La mort de James Bond fut un sacré coup pour le département. Mais il nous a laissé un beau cadeau : son nom. Depuis la mort de Bond, plusieurs de nos agents ont pris part à des opérations sous son nom. Cela ne perpétue pas seulement sa mémoire mais ça déboussole aussi l’opposition. Considérablement. Est-ce clair, Bond ?
– Bond (devenu son nom) : Tant bien que mal.
– M : Vous devrez changer de tailleur, mercerie, et bien sûr, d’armement.
– Bond : Je suis très content de mon 38 automatique.
– M : Ça ne le ferra pas. Un automatique risque de se coincer lors d’une surchauffe. Je vous donne les armes de Bond.Il tend deux armes de Bond.
– Bond : (Les examinant) Ça ferra l’affaire. Mais si ça ne vous dérange pas, je ne vais pas commencer à boire des martinis. Bourbon, sec. Pas d’eau. Pas de glace. Parfois, une petite bière.
– M : Sacrilège. Mais aucune objection.La porte s’ouvre. Un homme portant une mallette entre.
– Bond : Maintenant que j’ai été correctement baptisé, je suppose que vous avez une petite mission à la James Bondish à l’esprit.
– M : Tout à fait. Prenons le rapport, Hadley.L’homme, Hadley, retire un paquet de papiers de sa mallette.
– Hadley : (Lecture) À M du chef de S. Projet pour l’élimination de la campagne de corruption sexuelle menée par l’organisation d’espionnage Specter en Europe libre. Une chaîne de maisons closes employant une armée de prostituées de luxe ébranle d’important d’hommes d’État, de scientifiques et philosophes du monde libre. À ce jour, cette agression sexuelle contre le monde libre a été responsable de la défection d’experts nucléaire et personnalités politiques : neuf Allemands, huit Britanniques, huit Américains et onze Français.
– M : Attendez.Hadley fait une pause.
– M : Intéressé, Bond ?
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– Bond : Subversion par la luxure. Une triste utilisation du sexe.
– M : Ce n’est pas tout à fait nouveau, mais ça n’avait jamais été aussi brillamment organisé. (À Hadley) Deuxième page, paragraphe trois…
– Hadley : (Lecture) L’opération sexuelle du chef de Specter n’est pas précisément connue. S est enclin à croire les rumeurs que le chef du nouveau vice-empire de Specter est le Colonel von Chiffre, alias Big Belly, alias Herr Zero, l’un des agents les plus impitoyables de Specter.
– M : (à Hadley) Pause. (À Bond) Pas de doute à ce sujet dans mon esprit. Chiffre est le génie dégénéré que nous devons écarter des affaires. Quel est votre avis, Bond ?
– Bond : Un raid sur les maisons closes n’est pas vraiment mon genre. En fait, en Jamaïque mon casino hôtelier comprenait une sorte d’annexe pour les distractions masculines et féminines. Moi-même je n’avais rien à voir avec cela. Ça a vu le jour tout seul. Lorsqu’il y a une demande pour un produit, le produit apparaît d’habitude.
– M : Nous avons tout dans nos archives, Bond.
– Bond : Alors vous savez ce que je pense des bordels. Une stricte neutralité.INTÉRIEUR – UNE CHAMBRE LUXUEUSEMENT AMÉNAGÉE DONNANT SUR LA MER
La femme se lève du lit. Les deux chiens Doberman, un mâle et une femelle, la suivent alors qu’elle marche lentement vers Bond. C’est Gita. Son beau visage est mutilé. Sa mâchoire droite n’existe plus. Le côté droit du visage est inhumainement désossé. Bond la regarde. Il reconnaît la femme qu’il a employée comme un bouclier dans la fusillade à Hambourg près d’un camion à ordures. Gita va près de Bond qui est attaché à une chaise.
– Gita : Vous vous souvenez de moi, Monsieur Bond ?
– Bond : (Froidement, alors qu’il regarde) Vous avez un peu changé.
– Gita : Vous allez également changer, M. Bond.Otto donne à Gita un curieux instrument. C’est une fine tige en bois de 1,2 mètre de long. À son extrémité se trouve une mince dalle de bois, 15 centimètres carrés. L’outil ressemble à un croisement entre une tapette à mouches surdimensionnée et un batteur de tapis de taille insuffisante.
Le visage déformé de Gita fait des grimaces vers l’instrument. Elle est peut-être souriante.
– Chiffre : En effet, M’sieur Bond, ma femme avait hâte de rencontrer à nouveau l’homme qui a altéré son apparence.
– Bond : Je n’ai tiré aucune balle sur elle.
– Chiffre : Vrai. Vous n’avez utilisé que sa beauté comme un bouclier. Pour sauver votre vie. Dans un combat équitable, devons-nous dire. Mais je ne me bats pas de manière juste.186. UN AUTRE ANGLE : nous voyons qu’il y a une autre bizarrerie sur la chaise dans laquelle Bond est emprisonné. La chaise n’a pas de barreaux. Les pieds de bois robustes ont été renforcés avec des aigles-fers.
187. UN AUTRE ANGLE : Chiffre, Gita et Bond.
– Chiffre : (à Gita) Attends.
Gita hoche la tête, sourit avec son visage détruit et regarde avec impatience l’instrument curieux qu’elle détient. La tapette à son extrémité est bien fixée à la longue poignée.
– Chiffre : (Tranquille et sans colère dans sa voix) Vous êtes un agent courageux et intelligent, M’sieur Bond. Mais vous êtes un Anglais. Et tous les Anglais sont des imbéciles. Ils se précipitent comme des nigauds pour enlever les femmes qu’ils aiment des mains du méchant. J’ai parié là-dessus, M’sieur Bond. Et vous voilà, baccarat.
– Bond : (tendu) Vous êtes un peu long, Colonel Chiffre.
– Chiffre : Vous devriez en être reconnaissant, M’sieur Bond.Il regarde Gita. Son visage mutilé sourit tortueusement vers Bond.
– Chiffre : Vous avez reçu un chèque à la caisse de casino pour quatre-vingts millions de francs. Étant un homme grandement rusé, vous avez caché ce chèque, dans ce café où vous vous êtes assis avec Vesper Lynd. Où avez-vous caché le chèque, M’sieur Bond?
– Bond : Une question stupide, Chiffre.
– Chiffre : (toujours gentiment) Je désire ce chèque, M’sieur Bond.
– Bond : J’imagine bien. Peut-être que vous le trouverez.
– Chiffre : C’est peut-être possible. Mais j’espère que vous allez abréger notre recherche en nous révélant la cachette.
– Bond : (Tendu) Vous m’avez ligoté. Allez, tirez.
– Chiffre : Je ne suis pas intéressé par vous tuer, cela aurait pu être fait facilement depuis que vous nous avez rejoints. Je préfère le chèque à de votre cadavre sans valeur. Je n’ai pas à vous dire pourquoi.
– Bond : (Sombrement) Oui, on peut sauter cette partie.
– Chiffre : Vous avez la réputation de rendre les belles femmes heureuses, M’sieur Bond. Ma femme Gita n’est plus aussi belle qu’elle l’était, mais vous allez la rendre très heureuse dans la demi-heure qui va suivre. Permettez-moi d’expliquer comment. Elle va vous fouetter, M’sieur Bond. Elle va détruire votre virilité, lentement – coup par coup. Si vous refusez de me dire où le chèque est caché, vous allez vous transformer en un eunuque. (Chiffre fait une pause puis reprend doucement). Où est le chèque de quatre-vingts millions de francs ?
– Bond : (Son visage transpirant) Vous êtes un gros porc stupide, Chiffre.Chiffre est silencieux. Bond parle de nouveau avec violence.
– Bond : Chiffre, le bordel Napoléon, qui va se retrouver devant un peloton de Specter. Douze fusils tirant des balles dans son gros ventre. Ça va prendre au moins moins deux slaves avant que vos tripes ne pendent – triste, il y aura un gros proxénète de moins dans le monde.
– Chiffre : (Tranquillement) Bien parlé, M’sieur Bond. Mais vous perdez. Je ne vais pas vous tuer.Il se tourne vers Gita et ajoute brusquement : « commence ».
Bond est silencieux. Il ferme lentement ses yeux. La sueur baigne sur son visage et sur son corps.
Gita frappe avec sa tapette en bois, la balançant du sol sous la chaise.
Les deux Dobermans s’hérissent en entendant le cri de douleur de Bond.
Une profonde jubilation se lit dans le visage détruit de Gita alors qu’elle frappe encore et encore. L’agonie apporte gémissement après gémissement pour Bond. Sa tête pend sous la torture.
Enfin un cri vient de lui. Les deux grands chiens ajoutent leur grondement sauvage à ses cris.
– Chiffre : (à Gita, brusquement) Attends, Gita.
Le visage et le corps de Bond ruissellent de sueur. Ses yeux sont enroulés. Une inconscience bénie a presque effacé son agonie.
Chiffre prend une bouteille de whisky d’une table près de lui. Il verse du whisky dans un verre. Il saisit les cheveux de Bond et secoue sa tête debout. Il enfonce le canon de son arme entre les dents de Bond et ouvre grand sa bouche.
Puis il verse le whisky lentement et délicatement dans la gorge de Bond. Bond crachote puis commence à avaler.
Bond revit. Ses yeux injectés de sang regardant tristement Chiffre. Après une pause, Chiffre parle en se tournant vers Otto.
– Chiffre : (sèchement) Allez chercher la fille.
Un Otto souriant sort. Chiffre gifle le visage tombant de Bond.
– Chiffre : Écoutez, Bond. (Bond regarde avec agonie). Lorsque les anciens Romains crucifiaient un rival politique, ils lui permettait souvent de regarder le viol de ses femmes bien-aimées : épouse, fille, mère. Je vais relancer cette ancienne coutume sous vos yeux.
189. UN AUTRE ANGLE : Anton allume une lumière de lit. Le lit est en face de Bond. Il regarde les coussins brillants.
– Chiffre : Voulez-vous sauver votre femme bien-aimée d’une agression sexuelle ?
– Bond : (cherchant à gagner du temps) Si je vous le dis…
– Chiffre : Elle ne sera pas touchée. (Il s’appuie sur Bond). Où est-il ?
– Bond : (parlant avec difficulté) Dans une salière sous le siège du kiosque.
– Chiffre : Un mensonge. Mes hommes ont cherché soigneusement. Où est le chèque ?
– Bond : (fermant les yeux) Au-dessus de votre gésier, espèce de gros maquereau.Gita commence à le battre à nouveau. Bond hurle de douleur. Il mord ses lèvres.
Des grognements viennent de lui alors que Gita frappe encore et encore.
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Ben Hecht est mort le 18 avril 1964 alors qu’il travaillait encore sur le script. Charles K. Feldman a alors essayé de conclure un accord avec Albert R. Broccoli et Harry Saltzman pour faire Casino Royale en partenariat avec eux, mais jugeant l’offre qu’il proposait comme trop déraisonnable, les producteurs de la franchise James Bond ont décidé de passer leur tour. Il aurait ensuite approché Sean Connery, avant de faire marche arrière car celui-ci demandait trop d’argent.
Furieux, Feldman décida de mettre le script de Hecht au placard et de faire de Casino Royale « le Bond qui mettrait fin à tous les autres Bond » ; il voulaient alors faire définitivement stopper la saga 007. Le résultat de tout ceci fut la parodie Casino Royale de 1967, un film déplorable et chaotique, dont il n’y a pas grand chose à sauver…
Sources : Duns On Bond: An Omnibus of Journalism on Ian Fleming and James Bond de Jeremy Duns et The Telegraph.
Super intéressant comme article ! Même si je ne suis pas d’accord avec ta conclusion. Je préfère que ces Casino Royale n’aient pas vu le jour, avoir bien rigolé devant le Casino Royale de 67 qui me fait toujours beaucoup rire, et m’émerveiller devant le reboot de 2006