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De l’art de rebooter une saga cinquantenaire, trois fois plutôt qu’une.

Alors que je prépare cet article sur l’art de rebooter Bond, je me rends compte que j’ai déjà procédé à cette analyse en 2006 pour Casino Royale et 2008 pour Quantum of Solace. En effet, qu’il s’agisse de Skyfall, ou de ses deux prédécesseurs, les trois films s’efforcent de réintroduire la figure mythique de James Bond, à travers les aventures de 007.

Un reboot ?

Rebooter : dérivé du terme informatique anglais “reboot” – “réinitialiser”. Contrairement à l’ordinateur, un reboot correct ne vise pas à faire redémarrer une série de film à l’identique ou avec une distribution plus moderne (il s’agit alors d’un remake ou d’une bouse).
Rebooter désigne donc l’action de reprendre les éléments emblématiques d’une série de films, les ré-agencer au sein d’un scénario et d’arriver à proposer un film qui, à partir des mêmes bases, propose une déclinaison différente et novatrice du personnage et de son univers.

On a alors recours à différentes techniques: justification narrative des bases du film (exemple: La planète des singes, Prometheus), métamorphose d’un héros en personnage mythique (ex: Superman), psychologisation des motivations du héros (ex: X-Men), confrontation à de nouveaux contextes et antagonistes menaçant l’existence du héros (ex: Batman)… On comprends alors qu’il ne s’agit pas de réinventer la roue ou de faire table rase du passé. Si ce propos est tenu, c’est soit que le réalisateur a décidé de faire quelque chose de radicalement différent à partir d’une idée / matériel d’origine (Ex: le Tintin de Spielberg faisant abstraction des précédentes adaptations), soit que vous êtes tombés sur un fan se sentant trahi (ce qui arrive aux meilleurs d’entre nous). Le reboot consiste à réinterpréter le passé à la lueur d’un traitement moderne. Cela pose alors toute sorte de paradoxes temporels dans lequel toute personne saine d’esprit peut perdre pied.
Cet article ne vise donc pas à décrire la façon dont Bond est introduit (je l’ai déjà fait, notamment dans mon article sur l’utilisation des ombres et silhouettes), ni de répéter mes analyses sur la construction des films. Je voudrais proposer une courte description des approches adoptées par les 3 reboots que sont Casino Royale, Quantum of Solace et Skyfall, et souligner les différences en termes d’approches du film de James Bond.

3 Reboots ou une trilogie ?

Mais tout d’abord, peut-on vraiment parler de reboot pour ces trois films ? Si Casino Royale a officiellement été promu comme un reboot, Quantum of Solace a été présenté comme une suite, et Skyfall comme un classique. Cependant, derrière la promotion officielle, on se rend bien compte que Casino Royale n’est pas l’exception ou le film-relance de la franchise : Tous les autres films de James Bond n’ont jamais essayé de psychologiser Bond ou de revenir à ses motivations intrinsèques et profondes. Chaque épisode consiste à présenter le même personnage stable, et le décliner selon certains axes au cours de la mission (sentiments, vengeance, tristesse, décontraction…). Ce n’est pas le cas des 3 derniers films qui essaient de revenir aux sources de la motivation de Bond. Le fait de placer systématiquement le gunbarrel à la fin en est un bon exemple.

“La trilogie James Bond” selon le Grand Rex
Pourrait-il alors s’agir d’un reboot sur la durée en trois films ? Ce que l’on appelle aujourd’hui la “trilogie Daniel Craig” serait-il alors un arc narratif cohérent, faisant cheminer le personnage sur des étapes logiques ? Là encore il faut répondre par la négative : nous avons trois films, 3 réalisateurs différents, 3 intrigues indépendantes qui font fi de leur prédécesseurs. La scène finale de Casino Royale annonçant un James Bond ayant fini son cycle d’apprentissage est la base d’une nouvelle histoire dans Quantum of Solace. Quant à Skyfall, la scène finale fonctionne exactement comme celle de C.R. : une scène d’adoubement finale du personnage.
Aucune cohérence ni harmonie narrative comme ont pu l’être Jason Bourne ou Batman, qui construisaient leur histoire et leur quête sur les conclusions et les bases consolidées de leur premier reboot (ou premier film selon le cas).
Il ne s’agit donc ni d’une trilogie, ni de films visant à relancer une saga en faisant table rase sur le passé. Une nouvelle franchise alors ? Pas si sûr. Car si ces trois films présentent des codes bien différents de la routine bondienne des 40 premières années (de Dr No à Meurs un autre jour), les hommages, éléments et scènes typiques de la saga historique sont bien au centre de l’ADN de ces trois films : les types de personnages qu’affronte Bond, une séquence comme le voyage de 007 en Chine dans Skyfall, la structure des génériques et des missions : tous ces éléments auraient pu se trouver avant la borne historique qu’est Casino Royale.
Que s’est-il alors passé avec ces trois films ? C’est bien simple : un premier réalisateur (Martin Campbell) a été chargé de faire un reboot. Un second (Marc Forster) a eu envie lui aussi de jouer avec le personnage de Bond en explorant sa psyché et sa motivation, et un troisième (Sam Mendes) a voulu amener Bond sur un sentier le forçant à explorer son propre univers. Voyons ceci en détail.

Casino Royale : Les origines de l’agent

“I understand double-O’s have a very short life expectancy, so your mistake will be short-lived.”

Casino Royale introduit l’agent secret. Mais comme 007 n’est pas qu’un matricule, le film consiste à présenter le cheminement de Bond vers ce que le spectateur connaît comme “la Bond Attitude“, ou la personnalité de James Bond : ce cocktail d’assurance, de professionnalisme, de détachement, de cynisme et d’humour. Mais l’on n’acquiert pas ces qualités par simple promotion. Comme le dit M : “n’importe quel voyou peut tuer, je veux que vous mettiez votre ego hors de l’équation”.
Et c’est ce qui arrive : au fur et à mesure que l’agent suit sa mission, les tentations, dangers, défis et traîtrises l’amènent à se raffiner, à tirer les leçons de la jeunesse et à devenir l’agent professionnel que l’on connaît. Outre le fait que le film est brutal, mais saupoudré d’éléments bondiens (musique, répliques, espionnage, action), le film progresse comme un cycle d’apprentissage progressif au cours duquel James devient Bond.
Le film recourt alors à la technique de la justification des origines. Cela passe par la rencontre avec des personnages emblématiques (M, Le Chiffre, Mathis) ainsi que par des passages clés (introduction de l’Aston Martin, le Vodka Martini, la partie de carte, le Bond… James Bond). Le succès du film vient cependant que Casino Royale ne se limite pas qu’à cette réintroduction : le film vise plus haut et propose à la fois une histoire d’amour convaincante, une partie de carte à haut risque pleine de suspense, une scène de torture inédite, ainsi qu’une réalisation minutieuse qui servent et enrichissent le film.

But du film : introduire un héros particulier dans un univers mythique (celui de Bond, des nids d’espion, des lieux de luxe et des femmes fatales) ;
Principaux obstacles : amours et sentiments, violences faites au héros, parcours initiatique.
Usage du Gunbarrel : le gunbarrel fait ici partie non pas du reboot mais de l’introduction de Daniel Craig dans la peau de James Bond. Il entérine le pré-générique et règle une bonne fois pour toute le fait que ce personnage ne peut être confondu avec d’autre héros ;
Thème du Générique : le générique reprend cette attitude du reboot. Il consiste en la silhouette de l’agent secret, évoluant dans un environnement bondien (les cartes, jeux et revolvers). Ce n’est qu’à la fin qu’un visage se met sur cette silhouette ;
Scène finale : En prononçant sa phrase culte, Bond rentre enfin dans la peau de l’agent secret accompli, laissant derrière lui le jeune agent fougueux et casse-cou. Cette scène est cependant contredite par Quantum of Solace.

Quantum of Solace : les origines d’une motivation

“- You said you weren’t motivated by revenge. – I’m motivated by my duty”

Alors que Casino Royale concluait en montrant le héros devenu agent secret, Quantum prend le parti de lui rajouter des démons intérieurs. Pour la première fois (ou la seconde si tient compte de Permis de Tuer), la mission n’est pas importante. Elle est un prétexte, un chaîne d’affrontements entre lesquels Bond nous est présenté comme mal dans sa peau, et à la recherche d’un minimum de réconfort par rapport à la perte de l’être aimé.
Ce reboot est donc plutôt une approche psychologisante de James Bond. Elle fait de l’agent secret professionnel un personnage instable sans vraiment de motivation certaine, ce qui met en péril sa capacité à réussir sa mission. Celle-ci est un alibi au cours duquel l’évolution du personnage a son importance : Bond se rend progressivement compte que son histoire d’amour est finie et que la vengeance ne la ramènera pas (“The dead don’t care about vengance”), même si cela lui permet de gagner en sérénité. À force d’une catharsis musclée où l’incontrôlable Bond fait de nombreuses victimes (chez Quantum comme chez ses alliés de Bond), Bond finit par enfin laisser le passé derrière lui pour revenir avec délices intégralement à son travail.
Cette approche de Bond plus sensible est assez inhabituelle (avec de belles scènes avec Mathis et Camille, et une belle prestation de Daniel Craig). Elle n’est cependant pas neuve car Timothy Dalton et George Lazenby s’étaient déjà engagés sur cette voie. Le film prend cependant le parti de mettre ces sentiments au centre d’une quête d’identité rappelant, avec le recul, énormément le cheminement de Jason Bourne. De plus, en subordonnant totalement cette expérimentation aux scènes d’actions, au montage épileptique et au scénario accéléré, Quantum of Solace reste un film malade de ses idées qui n’arrive pas vraiment, dans la réalisation, à rendre bondienne cette perspective sur le personnage de Bond.
En ce sens, il s’agit moins d’un reboot que d’une tentative d’approfondissement du personnage qui déséquilibre l’intrigue générale. En plaçant un happy end et un gunbarrel à la fin, le film pose les balises d’un reboot qui conclue des péripéties hélas assez brouillonnes, mais pas dénuées d’intérêt.

But du film : confronter le héros à sa psychologie et à ses sentiments qu’il doit dépasser pour redevenir le héros qu’il est censé être (ce qui est assez embrouillé dès le départ) ;
Principaux obstacles : des scènes d’actions dont Bond sort souvent perdant (décès brusques, non progression dans l’intrigue), et des confrontations avec les personnages qui ne l’aident pas dans sa crise d’identité ;
Usage du Gunbarrel : Placé à la fin, il tente de justifier le statut auteurisant du film en présentant l’action écoulée comme une étape obligée de la création du personnage de Bond et de sa motivation ;
Thème du Générique : le générique évoque bien en image cette quête du personnage qui perd pied dans l’ombre et les souvenirs des femmes (analyse détaillée dans cet article) ;
Scène finale : Tant d’action et de péripéties pour voir finalement Bond, qui après une discussion non-filmée tire un trait sur le passé et revient serein à son métier. On s’interroge encore sur la discussion avec l’ex-petit ami de Vesper.

Skyfall : les origines d’un mythe

“Don’t forget my pathetic love of country”

Nous arrivons à une troisième forme de reboot plus fine. Car ce reboot ne se penche pas sur l’introduction d’un personnage dans le rôle de l’agent secret, mais dans l’introduction de l’agent secret dans un univers nouveau.
Si Casino Royale présentait plutôt un reboot à la Spiderman (la trilogie de 2002, pas la blague de 2012), Quantum of Solace un reboot à la Jason Bourne (la trilogie originale, pas la dérive de 2012), Skyfall propose un reboot plus ancré dans la veine des Batman (la trilogie de Nolan, what else?). En effet, Bond dans Skyfall est comme Batman dans les derniers films : il n’a aucun soucis à assumer son rôle, mais c’est un environnement complexe, noire et changeant qui le forcent à modifier sa façon d’agir.

extrait d’un Fanart de Greg
On retrouve les thématiques de l’ombre et des affrontements de personnages (plutôt que de plans machiavéliques qui sont généralement la structure des missions de 007). Bond ressemble à ses ennemis plus qu’auparavant (tueur contre tueur en Turquie, agent secret contre ex-agent secret en Chine et Angleterre, frères ennemis en Écosse). Bond n’est pas ici un personnage qui doit rentrer dans la position d’un personnage emblématique. Il a déjà cette classe décomplexée totalement exprimée lorsqu’il vérifie ses boutons de manchette dans le train turc.
L’environnement cependant le force, lui et M, à ruser pour déjouer l’adversaire et ne pas être dépassé et trop vieux dans un monde marqué par l’ombre et le terrorisme. Pour cela, le héros (comme Batman) devra rester stoïque face aux femmes qui meurent, et exploiter son passé pour pouvoir prendre l’ascendant sur l’ennemi insaisissable. Au final, l’attitude de Bond s’avère payante, et il peut se payer le luxe d’être vintage et de faire certaines choses à l’ancienne. Qu’est-ce qui est rebooté alors ? Tout simplement la mythologie bondienne : le cheminement du héros à travers le monde renforce cette facette délaissée du célèbre 007 : le chevalier noir britannique au service de son pays.
Les éléments bondiens qu’on avait laissé de coté servent ici à renforcer cet adoubement de Bond dans le rôle d’icône britannique indémodable : M, Q, et Monneypenny sont de retour de façon actualisés aux cotés d’un Bond mature. L’Aston Martin, les gadgets et le manoir de Skyfall fonctionnent comme la Bat-mobile, les Bat-gadgets et le manoir Wayne : des ressources du héros qui lui permettent toujours d’avoir l’ascendant sur son ennemi.
Est-ce à dire que Skyfall a tout pompé sur les Batmans de Nolan ? Non. Ce traitement cinématographique est un effet de mode au même titre que Jason Bourne dans les années 2000 : ce n’est pas la tendance qui compte mais la façon dont elle est articulée à une intrigue pour en faire un film à part entière. Mendes y réussit en proposant une réalisation dense, pleine d’inventions visuelles donnant sa propre couleur à ce Bond de 2012.

But du film : Introduire Bond dans un univers moderne, plus stable que les précédents, alliant classicisme et modernité, ainsi que toute la mythologie bondienne qui va avec. Skyfall fonctionne ici comme Goldeneye en son temps.
Principaux obstacles : un Joker ennemi aux motivations et au comportement imprévisibles qui force le héros à changer sa façon d’agir sous peine de périr.
Usage du Gunbarrel : Le gunbarrel est ici un positionnement par défaut. Le plan d’introduction sombre, in medias res, ne permettait pas de commencer de façon habituelle (sous peine de répétition). En le plaçant à la fin, le gunbarrel ponctue cependant par un point d’exclamation, non pas le personnage de Bond, mais l’environnement familier et mythique qui prend place autour de lui.
Scène finale : La scène finale dans le bureau du MI6 est un peu le banquet final du village gaulois d’Astérix, en plus mythique : le héros a su surmonter les épreuves, et pourra recommencer plus tard. La James Bond girl en dessert n’est qu’un détail supplémentaire infime par rapport à la promesse de voir la franchise vivre et survivre.

La question qui se pose alors est quelle sera l’influence de ces 3 expériences successives sur la saga James Bond et les films futurs. Ce sera l’objet d’un autre article. Merci de votre lecture!

Jamesbonderies

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