Première remarque, le film est si bien vendu aux journalistes que tout aspect « critique de cinéma » disparaît pour répéter sagement, mais avec enthousiasme qu’on a un James Bond classique avec tous les éléments trop bien. C’est très bien joué, alors qu’au même titre que Casino Royale et Quantum Of Solace, Skyfall est une nouvelle expérimentation de la Saga autour du personnage de Bond, creusant le mythe et la formule pour en faire une expérience spectaculaire autour d’un Daniel Craig taciturne.
Il aura donc fallu 6 ans à la saga pour réintroduire Bond. Sous couvert d’une mission, l’objectif est de confronter Bond, et non 007 à une mission, qui le poussera jusqu’au bout de lui même. Depuis 2006, il ne s’agit plus de dérouler une aventure sous les pieds de l’agent secret, jusqu’à ce que le méchant soit châtié et la Bond girl dans son lit. Il s’agit de prendre Bond en tant que personnage, et lui envoyer un maximum d’événements en pleine figure qui le forcent, en plus de sa mission, à se remettre fondamentalement en question et réagir, se dépasser lui même.
Il y a 4 ans, je sortais de Quantum of Solace en me disant : « mais non, ce n’est pas un James Bond classique, il creuse Bond, mais ce n’est plus la formule ». Je me trompais. Les films de Bond ont juste fait évoluer leurs intrigues de façon à ce que Bond et sa personnalité soient au cœur de l’intrigue, et non pas la solution qui dénoue une crise mondiale. À la fin de Casino Royale, je me disais que la boucle était bouclée. Que Bond avait eu son reboot. Mais le reboot, outre qu’il est une solution de facilité pour faire des suites, est aussi un exercice de style remettant plus ou moins en cause tout ce qu’il y a avant. Et malgré tout ce que j’ai pu penser, c’est un citron qu’on peut presser encore et encore, en en tirant toujours ce goût acide et pétillant.
J’ai été déconcerté de la même façon devant Skyfall que devant Quantum, en 2008. Je suis venu avec mon idée de ce qu’allait être le film (influencé par les échos de la presse, et sans avoir vu la bande annonce), avant de me trouver devant une nouvelle variation de « Bond en question ». Tout comme dans Quantum, l’environnement bondien évolue, même si les situations deviennent plus familières. Ce film de James Bond se renferme sur lui même, et place Bond au centre d’un film au nombre de personnages réduit (une petite dizaine). Aucune interférence du monde extérieur ne vient perturber Bond, à part une foule de garde du corps anonymes.
Dans ce système réduit se produisent alors 5 séquences et un épilogue (Istanbul, Londres, Asie, Londres encore, l’Écosse, et Londres) mettant en scène les personnages bondiens typiques : M, Bond, Q, la James Bond girl, l’alliée, le bureaucrate, le tueur à gage, et un adjuvant final surprenant. Chaque séquence a sa composition propre : une esthétique particulière, un ton donné, un objectif. Elles imposent des différences de rythme, et peu de continuité entre chacune d’entre elle. Un Bond à épisode donc. Le fait que la musique soit banale, le générique sans identité (et visuellement moche) ne font pas de Skyfall un film très solide ni homogène, mais la qualité de chaque séquence suffit à faire de cet opus un Bond qui marquera durablement les esprits :
– Poursuite à Istanbul : Un Bond qui se rapproche encore pas mal de Quantum of Solace et Casino Royale : la chasse d’un tueur lambda à l’autre bout du monde. Cela manque de caractère mais ouvre quand même le bal en proposant un Bond survolté et démesuré. Elle conjugue tous les éléments d’action bondienne de haut vol (voiture, moto, train, pelleteuse, course à pied), avec une belle complémentarité avec la Bond girl et la victime de départ. Cependant, l’absence de gunbarrel et le générique pauvrement développé manquent à donner à cette séquence son caractère propre. C’est au final une mission relativement quelconque et traitée classiquement, sous le sempiternel commentaire audio de M. Cela dit, combien de films d’action peuvent prétendre à une course poursuite de cette qualité ?
– Troubles à Londres : une idée originale. Bond revenant après une longue absence dans un MI6 ravagé, le forçant à redécouvrir le monde de l’espionnage. Séquence un peu maladroite, car elle survole à peine les deux enjeux : repeindre l’espionnage britannique, et nous raconter le personnage de James Bond, seul et livré à lui même. Le film reste en surface, mais remplit la fonction ostensiblement visée : introduire tous les personnages secondaires : le nouveau Q, M vieillissante, la routine de Bond au MI6, le nouveau futur M et la nouvelle future Moneypenny. On est pas sensé le savoir, mais le fan perspicace aura, dès la première rencontre entre les deux « M », repéré l’issue du film. Il reste que la mise en scène par les décors et la qualité des acteurs en font un moment reposant et très agréable.
– Bond en Asie : le Grand Retour de Bond. Comment Bond, seul, autonome, mène une enquête digne de ce nom, de haut vol, en milieu international, loin de la protection de Londres. 007 au service secret de sa Majesté, Bond… James Bond au sommet de son expertise, conjuguant charme, muscles, astuces, acrobaties dans une Asie superbement filmée et mis en scène. Tout y est, et même plus : le monde mystérieux de Bond, les décors grandioses, le luxe et ses règles du jeu, la Bond Girl mystérieuse, l’alliée, le tueur à gage et le méchant, les gadgets remplissant leur fonction. Un ballet parfaitement chorégraphié où tout est sublime. Après 6 ans de Bond rentrant dans son smoking et foirant tout plus ou moins, on arrive en première classe. Une séquence qui dépasse à elle seule en qualité plusieurs opus de la période Moore. Elle dépasse même l’univers bondien avec une direction graphique formidable. Les plus belles rencontres « Bond-méchant » « Bond-femme fatale », « Bond- alliée », dignes de la saga. Si on devait résumer en 30 minutes ce que fut la saga James Bond, cette séquence l’illustrerait mieux que n’importe quel montage.
– Thriller à Londres : les Bond étant aussi des Thrillers, il fallait passer par cette séquence inscrivant Bond dans le registre du film d’action / d’espionnage moderne. Une séquence encore extraordinairement homogène, et impressionnante car le réalisateur montre sa capacité à construire un enchaînement utilisant tous les codes du thriller : La menace de l’ennemi que l’on croit contenue, le lien avec l’histoire des personnages dans la relation M-Silva, un jeu de chat et de souris technologique, un propos sur l’espionnage contemporain assez réac’ et vite traité, un héros courant à travers la ville pour la sauver du Mal qui s’est introduit en son sein. Le tout culminant en final où les gentils, malgré leurs divergences, repoussent le Mal en se dissimulant eux aussi dans l’ombre et la fumée (bonne utilisation des extincteurs qui poussent au dénouement). Si la séquence précédente montrait 007 et son caractère British en voyage de par le monde, celle de Londres joue sur le thriller d’action torturé, où les espions se pourchassent dans la foule anonyme. Toute ressemblance avec le Silence des agneaux ou Seven est à peine fortuite.
– Dénouement en Écosse : Changement de registre une nouvelle fois. Après un intermède musical bondien, Skyfall joue la carte du retour aux origines. Du jamais vu chez James Bond, mais pourquoi pas. On rentre alors dans le drame familial qui tient plus du western que du film d’espionnage. Pourquoi pas ? Mendès aime les maisons isolées où se dénouent les passions. Ici, le final est explosif et si impressionnant visuellement que l’on oublie l’agent secret. Après tout, en tant qu’être humain, Bond peut aussi se prêter à ce type de traitement cinématographique. Et la qualité de la réalisation, articulée aux archétypes bondiens (Bond, M pour Mother, et le méchant – le frère dans l’ombre) réussit un morceau de Cinéma que l’on ne se serait pas attendu à rencontrer chez James Bond.
– Épilogue à Londres : Après 6 ans de reboot, et 3 films devant lesquels les spectateurs et fans se sont fidèlement donnés rendez-vous, il est temps de remettre la saga dans les rails. Le personnage de M, qui depuis 17 ans devenait de plus en plus maternel et intrusif dans l’action du héros, retourne dans le bureau emblématique. Les derniers personnages récurrents reprennent leur place, et Bond nous montre que, quelque soit sa personnalité, il est un serviteur dévoué au service de sa Majesté. La conclusion était similaire dans C.R. et Quantum, mais qui résiste à entendre une nouvelle fois le James Bond Theme ?
De ce film à séquence, il en sort que ce Bond a du mal à être homogène, puisque l’arc narratif n’est pas très bien tissé (ce qui parallèlement était le point fort de Casino Royale). Il en sort cependant des thèmes bondiens marquant pour cet opus : D’une part un 007 dévoué à son pays, et d’autre part le retour des figures emblématiques de la saga, portées au firmament, avec notemment un grand méchant fantaisiste et intemporel. Ce qui est absent ? Une mission traversant le film de part en part, avec une menace au début qui se matérialise et explose à la fin. Dans Skyfall, chaque séquence possède sa propre menace, et son dénouement (impliquant la plupart du temps des fusillades et des armes à feu, parfois un peu répétitifs). Mais Skyfall restera sans doute dans les mémoires pour la beauté de ses images et de sa réalisation.
Remarque annexe 1 : Quantum of Solace, qui se voulait un peu « auteurisant » n’arrive pas à la cheville de Skyfall, mais est paradoxalement beaucoup plus classique et homogène que ce nouveau Bond. Ce n’est pas + ou – bien. On pourrait même dire que Skyfall et QOS sont deux suites possibles aux fondations posées par C.R. : chacune partant dans un traitement radicalement différent. Chaque film rappelant que les films de Bond excellent, malgré leurs traitement différents, dans des scènes d’actions uniques et incomparables.
Remarque annexe 2 : Quelqu’un qui n’a jamais vu James Bond peut-il découvrir la saga avec Skyfall ? Pas sûr. Quelqu’un qui connaît Bond juste de nom risque de se demander quel est ce jeu de silhouettes, de stéréotypes, d’éléments fantaisistes. Skyfall est pétri d’élément bondiens, et il est préférable d’être familier avec l’univers pour l’apprécier dans tout son traitement. Un excellent film, qui prend sens dans sa propre saga, c’est quand même fort.
Remarque annexe 3 : quel beau départ pour M et quel beau remplacement. Déjà en 2006, je fantasmais que M puisse devenir un bureaucrate jeune et froid, tout en étant très professionnel, un peu comme Ralph Finnes qui a laissé passer son tour pour incarner 007. En 2012, mon fantasme est réalisé, et le personnage de M en bout de course a le droit à un départ digne, et à une confrontation mémorable avec Javier Bardem. En général, ce film n’était pas ce à quoi je m’attendais, il a des faiblesse, mais le simple fait de penser au film me remplit les yeux d’étoiles, car ce fut un très beau et très bon moment bondien, 100% Cinéma.
J’ai beaucoup apprécié ta critique. Nombreux points avec lesquels je suis d’accord avec toi. Mais au contraire, je trouve par exemple le générique plutôt bien fait avec c’est vrai un manque de transition entre les plans, c’est joli mais pas très fluide.
La scène finale du manoir me gêne énormément, je ressens un peu de paresse du côté des scénaristes quand ils font revenir la voiture gadgétisée, ce n’est pas cohérent. Et Bond qui fait exploser son manoir sous prétexte qu’il n’a jamais aimé cette maison : c’est clairement une excuse pour tout faire sauter sans faire déprimer Bond ! Je passe le côté « McGyver » et « Maman j’ai râté l’avion » quand il prépare les pièges.
A part ça SKYFALL se laisse regarder, c’est un film très agréable. Et si les portes de la bondmania s’ouvrent à une nouvelle génération de fans après ce film, c’est tant mieux !
Merci Landry !
En fait, en ce qui concerne le générique, je l’ai trouvé tantôt très beau, et tantôt très moche.
Je trouve le concept assez maladroitement développé, par rapport à celui de Quantum qui proposait également un générique linéaire, mais bien mieux maîtrisé. Ici, la silhouette de Craig en plein milieu du générique n’apport pas grand chose, et les éléments manquent des détails et de la classe des autres génériques de Kleinman. Ça manque de finition (honnêtement, les dragons sont très très moches), et ça m’a donné l’impression que ça a été fait à l’arrache.
En plus de ça, le générique ne se décide pas entre suivre la silhouette de Bond dans les flots, ou le travelling à travers les futurs moments du film. Au final, ça manque d’unité. Le début même du générique attend plus de 30 secondes que Bond se noie, avant de lancer la musique. Comparé aux autres génériques qui enchaînaient beaucoup plus fluidemment le prégénérique et le générique, là je suis très déçu. Et il y a aussi que je trouve la chanson d’Adele la plus insignifiante au niveau de la musique, et la plus stupide au niveau des paroles de l’histoire de James Bond.
Pour la scène finale à Skyfall, c’est vrai que le manoir hanté / piégé n’est pas très bondien. Mais c’est tellement bien filmé et l’attaque si bien orchestré que ça m’a totalement conquis. Le coté western me plaisait bien, et je n’aurais pas imaginé une utilisation des gadgets de la DB5 aussi parfaite. Mais ce n’est que mon avis 😉
Ton avis sur la chanson d’Adele est très engagé mais plutôt percutant. Le texte est aussi joli que la musique mais totalement hors sujet quand on sait par la suite ce que SKYFALL désigne…
J’avais également bien aimé le générique de Quantum of Solace en parfaite adéquation avec la chanson titre (bien que mauvaise) et le contexte du film !
Il m’a fallu du temps pour apprécier « Another Way to die », mais avec le temps, je dois dire que j’adore, surtout pour la musique / guitare de Jack White.
Au contraire, je trouve que les paroles d’Adele sont complètement transparentes et n’évoquent rien. Ca raconte juste ce qui va se passer à la fin, avec un vocabulaire vraiment pauvre. Heureusement que je n’avais pas écouté la chanson avant, sinon j’aurai deviné que Skyfall était un nom de lieux, et donc de la destination finale de Bond. « Another way to die » est à mon avis beaucoup plus riche musicalement parlant, et même les paroles évoquent des choses très bondiennes.
Je suis plutôt en partie d’accord avec Ytterbium pour le générique. Visuellement, je le trouve très beau, mais je n’aime pas du tout la chanson d’Adèle. Il faut admettre qu’elle est capable de faire beaucoup mieux, et ici elle nous envoie une chanson lente qui passe deux à l’heure où le refrain ne ressort même pas. Très décevant. En parlant du film, je l’ai moyennement apprécié, certes, il a une esthétique parfaite, les images sont sublimes mais l’action passe tout de même très lentement (ce qui était le contraire de Casino Royale). Il y a environ 10-15 minutes de perte de temps à Shanghaï avec les images des autoroutes, un jeu d’ombre chinois plutôt bien fait…J’ai été un peu déçu et pour le dénouement en Ecosse, je suis d’accord avec Landry; les petits pièges sont un peu ridicules. En comparant avec Casino Royale, ce dernier (avec la même durée) est bien plus fluide et l’action s’enchaîne très rapidement.