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Que comprendre derrière le succès de Skyfall

Alléluia ! On a trouvé le parfait James Bond !

Tout le monde le dit ! Les fans, les producteurs, les critiques, les journalistes, les blogueurs, le box-office (sauf les spectateurs qui n’ont pas leur mot à dire).

James Bond est devenu un objet de réflexion. Tout d’un coup, Bond devient quelque chose que l’on prend au sérieux. Il ne s’agit plus d’un énième épisode anecdotique d’une saga vieille de 50 ans, ou d’un bon film accidentel. Tout d’un coup, un film n’a pas besoin d’être un reboot, ou un final d’une trilogie pour devenir intéressant. Tout d’un coup, on découvre qu’un épisode comme un autre créé quelque chose ! On a soudainement l’impression d’avoir retrouvé James Bond (comme si depuis Goldfinger, les films qui ont ponctué la saga étaient quantité négligeable).

“Taking Bond Seriouly” : comment l’on nous parle de James Bond

Est-ce donc un James Bond spécial qui n’a rien à voir avec le reste de la saga ? Non : c’est un James Bond à 100% puisque tous les éléments sont là. Est-ce donc un film d’auteur ? Ça, la plupart des journaleux aimeraient le croire, et donner à Sam Mendès et aux acteurs oscarisés tout le mérite de la réussite. Sauf que si on y réfléchit 5 minutes, c’est toujours un film de producteurs qui répond aux codes du blockbuster. C’est embêtant, on ne peut pas le poser sur un piédestal comme les films de Nolan. Il s’agirait donc d’un James Bond dont le dosage des éléments est très bien équilibré ? Bien sûr que non. On ne va quand même pas analyser la construction du film. Ce qui importe, c’est à quel point chaque élément nous marque. “j’aime” ou “j’aime pas”. Est-ce donc un film qui parle directement au spectateur ? Non plus. Depuis quand se soucie-ton du spectateur quand on parle de James Bond. Les fans sont à la rigueur un public témoin devant lequel le film est redevable. Mais cette “communauté de fan” homogène est surtout associée aux codes passés de la saga et à l’héritage des 22 films précédents.

Dans le succès tant critique que populaire de Skyfall, on crie au génie, mais l’on ne se demande pas pourquoi. La plupart des critiques s’expriment comme des spectateurs, déclamant leur plaisir à voir du cinéma populaire (pour une fois qu’ils sont protégés par la qualité cinématographique). On lit les critique, et l’on n’en sort pas grand chose. Une description du film que tout le monde voit, en surlignant un aspect du casting, de l’histoire, de la lumière, d’une scène d’action. On en conclue qu’il s’agit d’un Bond classique. Pour une fois, on accepte d’affirmer son plaisir en tant que spectateur, sans avoir peur d’être dénigré pour avoir apprécié un blockbuster. On accepte même, de façon surprise, qu’un blockbuster populaire puisse être intelligent, sans qu’il s’agisse d’un chef d’œuvre démonstratif (traitement réservé chaque année à des films comme Avatars, Inception, Batman, ou autres).

Seuls certains critiques prennent un peu de recul sur le succès pour simplement apprécier les aspects de la construction du films (intéressants cinématographiquement parlant), ou sa logique en tant que James Bond film. Seuls certains fans dominent leur enthousiasme pour simplement récapituler l’équilibre satisfaisant atteint par le film, et qui le rend efficace.

“Vieux singe, nouvelles grimaces” : comprendre les nouveautés de Bond

La sortie de Skyfall est amusante, pour voir les critiques redevenir des spectateurs insouciants, alors que les spectateurs sont loin d’être des idiots, et sont parfaitement à même de détailler ce qui fonctionne bien et ce qui les a touché devant un film dont le but est d’atteindre le spectateur.

Certains commentateurs idiots auront l’impression de re-décrypter la mythologie bondienne, alors que depuis 50 ans, les films de Bond consistent justement à équilibrer ces éléments de mythologie, pour que le lien “public familier avec James Bond” et “film familier avec les habitudes cinématographiques du public” soit entretenu. On lit une renaissance de James Bond, alors que depuis Goldeneye, un des aspects de James Bond consiste justement à affirmer le caractère “en phase” du personnage avec son époque. Demain ne meurt jamais et Le Monde ne suffit pas le faisaient très discrètement, mais de Meurs un autre jour à Skyfall, James Bond se doit de montrer que derrière son classicisme, il s’adapte au public de son époque, devenant le héros que l’on attend (entre vintage et fantaisie dans DAD, en James Bond jeune dans CR, en James Bond tourmenté dans QOS et en James Bond humain dans Skyfall.

Tout cela fait parti du jeu, au même titre que la variation des scènes d’action, le profil des ennemis, les aspects de la réalisation. Mais d’habitude, on n’en parle pas. Pourquoi ? Parce que en tant que film de genre, on tient le compte des ingrédients plutôt que de la construction. J’ai toujours trouvé cela dommage. À mon avis, le plus classique des films de genre reflète un dosage intéressant lui permettant de rester à la page. À coté de cela, on a d’autres blockbusters qui disent inventer des histoires originales, mais qui ne sont que la répétition des mêmes scènes stéréotypées et des mêmes poncifs. Ce sont des films où l’originalité de l’intrigue est censée rendre intéressante son déroulement plus que banal.

Ce que j’aime dans les James Bond, c’est qu’il s’agit de la même histoire. Au même titre que les westerns racontent toujours le même conflit d’hommes civilisés sur une terre sauvage. Au même titre que les films d’espionnage nous racontent des hommes intelligents se tirer d’affaire dans un environnement humain traître… Comme ces autres genres, Bond trouve son originalité dans le déroulement de la même intrigue dans le même univers mais en jouant sur la mise en scène des ingrédients indispensables et en soignant l’introduction des passages inévitables. À coté de cela, bien des films d’action posent les bases d’une histoire et d’un décors, avant de le faire exploser, sans qu’aucune originalité ne vienne troubler “l’évolution” de leur personnage.

Les Bond restent constants, et proposent des innovations mineures. Le public attend cette constance, et apprécie les innovations proposées. Chaque moment, chaque époque établit ainsi ce dialogue, entre le degré d’attente de traditions et de surprises. En ce sens, le public est plus sollicité devant un James Bond, puisque l’on dialogue avec le film : on attend à chaque tournant un nouvel élément. Et pendant ce temps, des blockbusters “original” présentent de sempiternels enchaînements scénaristiques, dont seuls décors changent.

“007, reporting for duty” : analyser Skyfall

Une fois cela dit, comment peut-on expliquer le succès de Skyfall ? Essayons de dépasser l’ébahissement des critiques, radotant sur les meilleurs moments du films. Osons supposer que ce qui fait un bon film de James Bond, ce n’est pas une scène meilleure ou un nouveau personnage.

Écoutons d’abord Philippe Rouyer dans le Cercle :

Ce qui est intéressant, c’est comment faire vivre un mythe comme James Bond pendant 50 ans ? On ne dit que “Sam Mendès” ici, mais c’est avant tout un film de producteur. Ce qui est intéressant, c’est comment Mendes mais ensemble le tout.
Parce que Mendès, faut pas croire que c’est un gars qui fait des scènes d’action. Il les a pas faite. Celui qui a fait les scènes d’action, c’est celui qui avait fait les scènes d’action sur QOS, sur lequel tout le monde avait vomi. Mais simplement, dans QOS, il faisait manière “Jason Bourne”. Bon, et bien là, on fait manière “Dark Knight Rises”. Ce qui est très intéressant, c’est que pour faire survivre Bond, on va l’acclimater à la mode de la science fiction de l’époque. Parce que c’est vrai que pendant 35 ans, on a eu des films avec des réalisateurs comme John Glen, et tous les films étaient sur le même mode. Et puis tout d’un coup, on s’est réveillé, et James Bond était à ça de disparaître en tant que mythe cinématographique, parce que ça n’intéressait plus personne.
Et il y a eu Goldeneye en 1995 qui a été la première résurrection, et où on s’est dit “attention”, si on veut continuer à faire des Bond, faut faire évoluer le personnage, faut aller dans sa psyché, faut faire évoluer les méchants.. et donc il faut penser, à soigner le scénario : ce qui est le cas là, à soigner le casting : à la fin, on a quand même le plaisir de voir Albert Finney, mais soigner aussi la photo : on fait ici appel à Roger Deakins qui est quand même celui qui a bossé sur No country for old men avec les frères Coen. Et pareil pour les décors de Dennis Gassner : les décors sont absolument géniaux : le passage à Shanghai, c’est très très beau. Et donc ce qui est intéressant, c’est de voir qu’il y a un maître d’œuvre, et chacun a la modestie d’apporter sa pierre

Cette critique est très intelligente, car elle utilise le bon vocabulaire pour parler de Bond : en termes d’équilibre de construction (James Bond comme tout film est composé de différents éléments qui participent à sa réalisation. Ce n’est pas qu’un étalage de personnage se courant les uns après les autres), de mythe (ce qu’on attend du héros, par rapport à l’époque où sort le film), en termes de machine calibrée qui doit conquérir le public (une fois le spectateur dans la salle, il n’est pas considéré comme un élément passif. Il y a interaction dans le sens où il faut le convaincre de revenir au prochain épisode).

Skyfall est juste bien. Un bon film doublé d’un bon James Bond. Comme tout film de James Bond, il se mesure à l’aune de la qualité de ses ingrédients : décors, casting, scènes d’action, intrigue, musique, personnages récurrents. Dans cet épisode, ces ingrédients font mouche parce qu’ils sont ce qu’on attend, en tant que film d’action et en tant que James Bond : un maintien de la tradition, une réalisation posée, des acteurs convaincants, du sérieux dans l’histoire et l’environnement. Et en même temps de l’exotisme, de la fantaisie, de l’humour et de l’action renfermant un minimum de suspense. Est-ce à dire que Quantum of Solace était loin du compte ? Non. Il y a 4 ans, le film d’action devait être secoué, le héros torturé de l’intérieur, le monde froid et cynique, et les décors loin des endroits peuplés.

Est-ce à dire que Skyfall est un James Bond comme les autres dans la saga ? Non plus. Si les ingrédients sont là, la narration est différente : le film ne s’accroche que faiblement à une mission, et les péripéties sont beaucoup plus liées au personnage principal. C’était déjà le cas dans Casino Royale et Quantum, mais ici, Bond cesse d’être tourmenté de l’intérieur. Il ne s’agit pas de sauver le monde, mais son monde : c’est la figure éternel de M (la mère) qui est mis en danger, c’est la sécurité intérieur du MI6 et de l’Angleterre qui est questionnée (la maison), c’est la capacité du héros à dépasser un obstacle plus fort que lui qui est mis en suspense (Bond n’a pas l’ascendant sur l’ennemi puisque l’ennemi n’a pas de jeu/ d’empire à défendre).

En plus de cette déclinaison originale de l’univers bondien, la plus-value de Skyfall, cinématographiquement parlant est une structure très découpée qui propose plusieurs registres (5 registres/styles, 5 séquences). Certains d’entre-eux sont entièrement consacrés à la mythologie bondienne (le pré-générique, l’exposition londonienne et surtout la séquence asiatique). D’autres séquences amènent le style de James Bond dans d’autres genres codifiés :  le thriller urbain à Londres et le Western en Écosse. Deux genres rarement déclinés sérieusement ce nos jours, et qui gagnent leur lettre de noblesse dans cette rencontre avec l’univers de James Bond.

Skyfall n’est donc pas un Bond classique. Mais le succès qu’il reçoit actuellement, ainsi que la présence actualisée et au complet de tous les éléments de l’univers de James Bond, l’inscrivent en première ligne dans le patrimoine bondien. Les éléments qu’il aura introduit et la qualité de sa réalisation lui permettront de bien vieillir, et de devenir, dans très peu de temps, un Bond classique.

Remarques annexes

  1. Il faut que les qualités nous sautent à la gueule apprécier les qualités régénératrices des films de James Bond ;
  2. Il y a très peu de Bond dont la réception critique est mauvaise. Chaque époque accueille en général favorablement chaque tentative de James Bond de s’actualiser. Ce n’est que rétrospectivement que les aspects mitigés deviennent des critiques acerbes (comme QOS en a fait les frais) ;
  3. Je n’arrive pas à rentrer dans le système de notation, de Top 5 ou de mieux que / aussi bien/moins bien que, dont les fans sont friands. Depuis Casino Royale, les films de James Bond font des expériences cinématographiques intéressantes, mais toutes très différentes. Ce n’est qu’avec le recul que des critères attachés aux films de James Bond permettent de les comparer. Skyfall va amener à devoir revoir et actualiser ces critères d’évaluation ;
  4. En tant que fan le premier visionnage de Skyfall était une grosse surprise par rapport à mes attentes : j’ai découvert certains aspects cinématographiques de Bond que je n’imaginais pas. Mais en trois jours, j’ai eu le plaisir de ré-imaginer le personnage de James Bond et actualiser mes attentes en termes d’éléments des films de James Bond. En revoyant le films, j’étais déjà presque intégralement conquis. Je l’ai apprécié non pas comme un nouveau film original, mais comme un James Bond à part entière, qui m’est familier depuis longtemps. Un vrai plaisir. Un peu comme savourer un classique… Il aura suffit de trois jours.
  5. Quelques remarques intéressantes tout de même de Michel Ciment sur le Masque et la plume. Heureusement qu’il y a des critiques qui s’intéressent à la construction et au registre du film en tant que film de genre, et s’épuisent pas en logorrhées sur le coté mythique de la série, en se limitant au “j’aime” / “j’aime pas” sur chaque scène et personnage du film.

Jamesbonderies

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