Si Quantum of Solace peut sembler bizarre en tant que James bond, c’est que ce film est le premier de la saga qui, à mon avis, assume délibérément son éloignement par rapport à l’ambiance bondienne habituelle. Marc Forster ne l’a pas fait juste pour le fun. Cette modification de l’univers de 007 se fait en corrélation avec le personnage de Bond, pour refléter sa personnalité un peu perdue, entre sa mission, et sa quête de réconfort (voir cet article pour l’analyse détaillée). Aussi, le monde qui encadre d’habitude les aventures de 007 va s’adapter à la situation tourmentée de l’agent de sa majesté. Voyons cela dans le détail.
Les bornes bondiennes
Les bornes ou repères bondiens sont, selon moi les structures des films habituels. L’aventure de l’agent secret s’articule autour d’une mission, qui commence et finit généralement avec elle. Au cours de cette mission, on passe par des moments classiques : le gunbarrel au début, on confie à Bond une mission (ou elle lui tombe dessus), James remonte la filière jusqu’au méchant à partir d’un indice de base, l’intrigue monte en puissance au fur et à mesure qu’on découvre le plan de l’ennemi, le risque mondial va en s’amplifiant, jusqu’à une belle bagarre finale où tout explose.
Les changements de Quantum of Solace
La plupart de ces bornes sont présentes dans le film, mais elles sont déplacées, amenées différemment ou passées à la trappe. M confie à Bond une mission, mais auparavant, il a subi un retournement de situation avec la poursuite de Sienne. Bond trouve bien un indice de début, et poursuivra sa mission à partir de cette piste (le gars de Haïti). Sauf qu’ici, 007 donne l’impression de suivre le bout de son nez. Il ne sait pas exactement à quoi il a affaire et commet nombre de bavures (tue les indics, libère Camille qui ne réclamait rien…). La montée en puissance est étrange aussi car les rebondissements ne s’ensuivent pas logiquement. Bond se retrouve de nombreuses fois dans des culs de sac (fin de soirée en Bolivie, accident d’avion, fin de la partie en Autriche…) et continue son aventure sans l’aval de M, plus par motivation personnelle de vengeance que pour mener à bien sa mission. Ce n’est pas la mission, mais la personnalité de Bond qui importe dans l’ambiance du film.
En fin de compte, Bond va se retrouver presque par hasard dans l’hôtel où se déroule la fin du film, sans qu’une menace imminente se fasse sentir. Le dénouement donne plus l’impression d’un règlement de compte généralisé. La belle bagarre finale ne met pas fin à la quête de Bond, et il continue encore sur son propre chemin. Le gunbarrel quant-à lui est bien présent, mais seulement à la fin du film.
Scènes futiles et joutes oratoires
Voici un second élément caractéristique des James Bond. Dans tout les films, on trouvera des moments de rencontre dans des casinos, des situations un peu bizarres, cocasses, ou déplacées par rapport au contexte. Dans ces moments, James affirme sa capacité à être détendu, à l’aise, à prendre de la distance par rapport à l’action qui lui tombe dessus. La meilleure illustration est ce plan dans Le monde ne suffit pas où Bond resserre son noeud de cravate alors que son bateau passe immergé sous Tower Bridge.
Ces situations prennent aussi la forme de temps de dragues (des dialogues croustillants ou James essaie de piéger la James bond girl et de la taquiner avant de conclure) ou d’affrontements verbaux entre Bond et le méchant, avant qu’ils ne se soient déclarés vraiment la guerre. Ces moments étaient délicieusement bondiens, jouissifs quand Bond cassait le méchant, alléchant quand il faisait succomber la Bond girl.
Et dans Quantum ?
Ce genre de situation est moins présente dans ce film. Les confrontations entre M et son agent laissent peu de place à des taquinements verbaux, et on voit que James, n’a pas la tête à ça. Lors de la soirée à Bregenz, Bond se fond dans la foule distinguée, mais ne prend pas le risque de se mêler aux ennemis. Quand il pratique enfin l’ironie, c’est quand il est sûr de gagner et qu’il a forcément le dessus. Si James Bond drague, c’est uniquement dans le but de passer le temps en se reposant : on ne le voit pas tenter de séduire Camille, et Field n’est attirée dans le lit de Bond que juste parce qu’il ne veut pas se retrouver seul face à ses idées noires. L’humour qu’il met en place à ces moments là est uniquement quand il peut se le permettre. Quant-aux confrontations directes avec son ennemi, 007 les évite à tout prix. Voyez la soirée en Bolivie, ou James ne s’approche de Dominic Greene que pour lui soustraire Camille. Il ne relève aucune des piques que lui envoie le méchant.
« The bondian way of fight »
Ce 3e aspect regroupe tout les moments d’actions des films. C’est à dire non seulement les scènes d’actions, mais aussi les scènes de transition entre deux pays, les discussions des méchants entre eux, les panoramas réalisés etc.
Les James Bond ont la particularité de filmer ces moments de façon très chorégraphiée, sur une musique extrêmement adaptée. On imaginerait pas ces plans sans la musique qui va dessus. Image et son avancent de pair pour permettre à une action, un dialogue, un travelling, de se développer de façon harmonieuse et agréable à regarder. C’est sans doute ce qui fait la richesse des scènes d’actions de ces films, comparé aux autres blockbusters.
The Quantum way
Ce qui m’a marqué dans ce film, c’est une impression de baisse de la présence de la BO. Lors des scènes d’actions, elle semble accompagner Bond seulement au second plan. Comme si James courait trop vite pour qu’elle puisse suivre le rythme et s’organiser en conséquence. De ce fait, j’ai perçu la musique plus comme un fond musical classique, que comme un réel accompagnement. Ça reste quand même de la musique de bonne qualité vu que David Arnold est aux manettes, mais cette musique ne prend sa pleine mesure seulement dans les scènes « contemplatives ».
Résultat : les transitions d’un pays à l’autre sont escamotées, les scènes d’actions ont un fond sonore pas très original, de sorte que l’on est beaucoup plus concentré sur l’action elle même. Tout va plus vite, et James ne prend même plus le temps de respirer. Les dialogues entre les ennemis sont crûs et sans ambages. L’esprit bondien ne flotte plus dans l’air.
Les autres éléments
Pour terminer avec les éléments bondiens qui ont disparu dans cet opus, je rajouterai aussi le manque de personnages habituels liés au MI6 (celui-ci est même transformé en lieu high tech et froid). Absents aussi : des décors qui sont très différents de ceux chatoyants et accueillants auxquels on était habitués. Le désert, l’opéra, Haïti, les toits de Sienne… Ces lieux sont pour moi réellement novateurs et étranges dans l’univers bondien. Immenses, assez épurés, et dangereux. Enfin, les gadgets sont délibérément absents, à part les portables et les ordis high-tech.
Je précise que je ne fais que constater la disparition de ces moments bondiens. À vous de juger si cette disparition est pertinente. Il faut aussi s’interroger sur l’univers créé au dépends des éléments bondiens qui lui, peut s’avérer très novateur. Mais cela dépasse le cadre de cette analyse
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